Tous les managers le savent, parfois de façon plus intuitive que réellement mesurée : faire travailler ensemble des personnes qui s’apprécient est un gage de productivité et d’ambiance au travail. Mais comment l’objectiver ? Un exemple dans l’industrie.
Le DRH d’un site industriel avait lancé il y a quelques années une expérience assez originale sur le travail par affinités. Son intuition était simple : si on laisse les salariés travailler sur les lignes de production avec les personnes qu’ils apprécient le plus, cela devrait avoir des impacts positifs. C’est du bon sens de base, mais comment identifier les gains et comment les mesurer ? Et comment rendre ceci compatible avec le RGPD ou de la CNIL ? D’autant plus que cette démarche devait se faire avec très peu de moyens et des processus simplifiés à l’extrême.
Des managers qui tiennent surtout compte des incompatibilités d’humeur
En entreprise, les managers qui gèrent les plannings de travail de leurs équipes essaient souvent d’optimiser les relations interpersonnelles en faisant appel à des configurations gagnantes. Ils savent (parfois intuitivement) que faire travailler telle ou telle personne ensemble a un impact positif sur la productivité.
En réalité, les managers ont plutôt tendance à tenir compte des incompatibilités d’humeur. Dans le cas de conflits connus ou d’une animosité entre 2 équipiers, ils vont éviter que ces personnes se retrouvent sur les mêmes postes et les mêmes horaires.
Tout ceci se fait sur la base de connaissances empiriques qui sont dans « la tête du manager ». Car bien évidemment, formaliser dans un logiciel des compatibilités ou incompatibilités d’humeur entre équipiers poserait vite des problèmes juridiques (RGPD, CNIL) et sociaux. Dans les faits, l’approche est donc difficile à « outiller » sur le plan IT.
Laisser les salariés s’organiser eux-mêmes
C’est sur ce principe qu’a été menée cette expérience. Plutôt que de demander aux managers – sans garantie de résultat – de gérer au mieux les relations interpersonnelles pour élaborer le planning des équipes, l’idée était de laisser la main aux salariés pour que cela se fasse implicitement. Et d’encourager ainsi la création d’équipes dans un mode le plus affinitaire possible, sans développer une usine à gaz.
Ainsi, dans cette approche, le rôle des managers consistait simplement à définir un planning de production avec leur besoin en ressources par qualification et par ligne, en volume et de façon non nominative.
Sur un plan pratique, en arrivant sur le site, les salariés pouvaient ainsi voir les personnes présentes et déjà affectées sur les lignes sur des écrans positionnés près des badgeuses. Ils pouvaient alors choisir sur quelle ligne ils voulaient eux-mêmes travailler, dans la limite des compétences et des besoins définis pour la ligne. Ce qui revenait, dans les faits, à leur laisser une certaine latitude de choisir avec qui ils voulaient travailler.
Deux règles du jeu avaient néanmoins été clairement exposées :
- les managers pouvaient reprendre la main en cas d’urgence ou de contrainte forte de production (une panne sur une ligne, une urgence sur une autre…) ;
- les compétences rares (voire uniques) étaient exclues de ce mode, car trop critiques pour le fonctionnement.
Des résultats mesurables sur la productivité et l’absentéisme
Après quelques cafouillages au démarrage et le rappel de quelques principes, l’expérience a vite monté en puissance et a été étendue à toute l’usine. C »est-à-dire 250 personnes. Au bout de quelques mois, une mesure a été faite, démontrant alors 2 principaux gains.
Tout d’abord, la productivité MOD (main-d’œuvre directe) avait progressé de plus de 3 %. Cela peut sembler peu, mais, dans une production déjà très optimisée, qui fait du lean management depuis des années, chaque point de productivité MOD gagné nécessite d’énormes efforts.
Le deuxième gain significatif concernait les arrêts maladie qui avaient baissé de 6 % dans la population des opérateurs de production. D’autres améliorations avaient été observées, mais plus difficile à démontrer statistiquement (moins de retards, par exemple). Il aurait été intéressant aussi de mesurer le turnover.
Une expérience pas forcément réplicable partout, mais…
Il est évident que cette expérience a pu être menée avec succès, car l’organisation industrielle du site s’y prêtait. De même, un travail important sur la polyvalence des opérateurs avait été effectué depuis plusieurs années, un facilitateur important dans cette approche. Enfin, le climat social dans l’usine était bon, avec des opérateurs et des managers prêts à jouer le jeu, malgré quelques réticences pour certains.
Il n’en reste pas moins que l’intuition du DRH du site a été largement vérifiée, et prouvée en matière de gains. Tandis que le coût de cette expérimentation n’a quant à lui pas dépassé les 30 k€.