Le secteur du conseil est un secteur d’activité très hétérogène en termes d’offres proposées, de cultures de cabinets et de politiques RH. Le rythme de travail y est très soutenu. Il n’est pas rare pour un consultant en stratégie de travailler 60 à 70 heures par semaine incluant les soirs et week end. Qu’en est-il de la qualité de vie au travail dans ce secteur d’activité ? Est-ce que les cabinets de conseil et d’audit prennent en compte la vie hors travail de leurs salariés ?
Nous avons choisi 3 exemples significatifs pour illustrer le concept de l’enrichissement : Deloitte, PriceWaterhouseCoopers et BPI Group.
- Ainsi, nous pouvons citer Deloitte pour la mise en place d’un congé pour projet personnel. Cette mesure spécifique est destinée à favoriser par une aide financière la prise de congés longue durée ayant pour vocation l’enrichissement humain, intellectuel, culturel ou sportif.
- Nous pouvons également retenir la mise en place du mécénat de compétences chez PriceWaterhouseCoopers. PwC a signé une convention de partenariat en 2006 avec Planète Urgence. Association à but non lucratif créée en 2000, Planète Urgence s’engage à proposer aux collaborateurs volontaires de PwC France des projets de solidarité internationale de deux à quatre semaines correspondant à leurs aspirations personnelles et à leurs compétences professionnelles. Par ce partenariat, PwC France s’est engagé à soutenir ses collaborateurs désireux de prendre part à un projet de solidarité internationale en prenant en charge le coût de la mission (intendance, logistique, préparation, formation, administration, vaccins et visas) ainsi que le prix du voyage. Les collaborateurs intéressés utilisent leurs congés annuels pour participer aux projets humanitaires dans leurs domaines de compétences (ex : expertise comptable, conseil…). En 2009, 11 collaborateurs sont partis dans le cadre de Planète Urgence afin d’apporter leur expertise au Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Madagascar, Mali et Niger.
- Chez BPI Group, un cabinet de conseil et d’outplacement, les salariés qui le souhaitent peuvent, sur leur temps de congés payés, partir pour un congé humanitaire. Audrey Barbe, interviewée en avril 2012, est à l’époque responsable de mission RSE et consultante au sein de la branche « Change Management ». Elle est à l’origine de la création de ce congé solidaire chez BPI. En 2002, Audrey Barbe intègre BPI en tant que consultante et s’engage à titre personnel à partir au Mali dans le cadre d’un congé solidaire pour faire du conseil RH pour des petites ONG. L’année suivante, elle renouvellera l’expérience pour faire du conseil en gestion de projet auprès d’une association impliquée dans le développement durable au Mali.
Le projet « mécénat de compétences » a vraiment commencé en 2003 chez BPI. « Pour l’entreprise, les avantages sont évidents : image de marque et attention portée aux salariés », précise Audrey Barbe. Un partenariat un peu spécifique a été réalisé avec Planète Urgences. « L’idée était de cibler 2 à 3 types de missions dans un même pays, en l’occurrence le Mali, pour faciliter la gestion des départs des salariés et organiser un relais sur ces missions » indique Audrey Barbe. « Nous avons mené nous-même, avec le relais local de Planète sur place, un repérage des futurs bénéficiaires en gardant à l’esprit que les salariés de BPI interviendraient dans les champs de compétences du cabinet».
Le DRH de BPI, Bernard Hervier (en avril 2012), a été convaincu immédiatement de l’intérêt de mettre en place le mécénat de compétences au sein de BPI. C’est un excellent outil de gestion RH (développement des compétences, fidélisation, etc.) et surtout il s’intègre parfaitement à la culture de BPI, déjà sensible aux secteurs de l’économie sociale et associative par le biais des consultants qui ont généralement ce type de culture. Pour Audrey Barbe, le fait de partir faire une mission dans un autre contexte permet à un consultant de développer d’autres compétences ou de renforcer son expertise, mais aussi d’accéder parfois à des missions pour lesquelles un niveau d’expériences plus élevé ou d’autres langues sont demandés. Une trentaine de salariés sont partis au Mali depuis le début du partenariat. Depuis l’année dernière, il y a 2 départs par an.
L’initiatrice du projet mécénat de compétences chez BPI insiste que pour elle, c’était une nécessité personnelle de donner son temps et d’être solidaire dans des pays en voie de développement et que c’était très important pour son équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Audrey Barbe a voulu faire participer les salariés de BPI et ainsi les emmener dans cette belle aventure qu’est le mécénat de compétences.
Pour ce faire, des actions de communication bien ciblées ont été rapidement mises en place comme par exemple les témoignages des salariés ayant vécu une mission au Mali, une exposition photos, des repas aux couleurs de la cuisine africaine, une rubrique dédiée sur l’intranet et bien sûr le bouche à oreille ! 80 % des salariés sont satisfaits de leur mission dans le cadre du mécénat de compétences. Selon Audrey Barbe, le mécénat de compétences a des limites car il faut rester humble par rapport à cette expérience et au fait de «sauver le monde », et aussi pour limiter les déconvenues de certains salariés.
Concernant les coûts, BPI a financé environ 2000 euros par salariés et le prix des billets d’avion. Il est intéressant de noter que cette action de mécénat de compétences est défiscalisée à hauteur de 60 %. Le salarié utilise ses jours de congés payés. Le financement de cette opération est donc minime au regard des bénéfices qualitatifs pour le salarié et pour l’entreprise. Le mécénat de compétences s’inscrit parfaitement dans le champ de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise et permet une certaine porosité entre l’entreprise et l’environnement de cette dernière. Pour le salarié, c’est très enrichissant de se sentir utile et c’est une vraie bulle d’oxygène par rapport au rythme de travail au quotidien et pour l’entreprise, elle y gagne en performance et créativité sur son cœur de métier. En effet, le salarié qui fait la démarche de partir, ne revient pas neutre en terme de posture et d’ouverture d’esprit. Il n’y a pas chez BPI de profil type de salarié désireux de faire du mécénat de compétences : tout le monde est concerné au final.
Le mécénat de compétences peut aussi s’exercer sur le territoire français. A ce titre elle souligne que la « porosité » est rendue possible entre deux mondes : privés et associatifs. Les associations bénéficiaires qui sont confrontées aux méthodes de travail du secteur privé. Et le secteur privé qui continue de s’ancrer sur un territoire en participant à la sphère civile. Selon Audrey Barbe, il y a ainsi des passerelles entre chaque acteur : « Tous solidaires mais aussi tous responsables ! » est son leitmotiv au quotidien. L’organisation, le salarié, les bénéficiaires tous maillons de la chaîne.
Elle souhaite aussi indiquer les points sensibles de ce type d’action : le fait que le bénévolat est susceptible de générer des créations de postes en moins dans les associations et aussi la complexité à évaluer le retour sur investissement (ROI en terme de performance, motivation, ouverture culturelle, etc.), pourtant certain, pour les entreprises mécènes.
Karen Demaison