Fondateur en 2009, de Latitude RH, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement RH et managérial des projets de transformation et de redéploiement des entreprises, Xavier Tedeschi est également l’auteur du livre intitulé « Et moi, je fais quoi ? Plaidoyer pour une saine restructuration » (Editions du Palio). Interview.
Quelles sont les premières étapes d’une restructuration ?
La première étape consiste à formuler la feuille de route du projet de restructuration. Cela passe par un diagnostic qui vise à connaître en profondeur l’entreprise, puis à comprendre sa problématique pour retenir une solution et fixer les objectifs de sa mise en œuvre. Le but est d’obtenir un document unique qui garantit la cohérence et la cohésion de l’ensemble de la démarche et de ses acteurs clés. La seconde étape est de définir et de mettre en place l’ingénierie sociale pour aller au-delà de « l’information consultation légale » des IRP (Instances Représentatives du Personnel) et envisager toutes les facettes de la négociation sociale. L’objectif est d’essayer de préserver les relations sociales entre les salariés et l’employeur pour redémarrer sur de bonnes bases après la restructuration. Via ensuite l’étape où l’on appréhende et conçoit le plan de communication. Ce dernier se déroule en quatre temps.
Quels sont ces temps ?
La communication d’annonce formalise le discours et le déroulement du projet de restructuration. La communication de réaction consiste à répondre aux questions légitimes que se pose l’ensemble du personnel et ce, dans les 72 heures après l’annonce de la restructuration. La communication de consolidation, à destination de salariés menée tout au long de la réalisation du projet fait la synthèse des réussites, des échecs et des avancés du projet. Puis vient la communication externe, à destination des journalistes, des politiques et des acteurs externes au projet. Sa dimension dépend de la renommée de l’entreprise, de son image locale ou nationale, de la présence ou non de personnes influentes sur le territoire concerné. Vient ensuite une autre étape qui consiste à mobiliser la ligne managériale et les « rescapés »…
Concrètement de quoi s’agit-t-il ?
La hiérarchie de proximité doit être mobilisée sur la feuille de route, participer aux scénarios possibles de la restructuration et à la construction de la solution retenue via des groupes de travail afin, non pas qu’elle valide la décision finale (c’est de la responsabilité de la DG), mais qu’elle définisse le mode opératoire des réorganisations et la synchronisation des calendriers.
Une étude montrait il y a quelques années que 70% des DRH interrogés – ayant mené une restructuration – reconnaissaient que cette dernière n’avait pas atteint les objectifs pour lesquels elle avait été déclenchée. Pourquoi ? 52% avouaient une démobilisation générale de ceux qui restaient… Et pourtant la résistance au changement est normale, c’est le contraire qui est inquiétant. Les « rescapés » quant à eux reconnaissent une baisse du moral, liée à un fort sentiment de culpabilité d’être encore là, un sentiment accru d’insécurité ne sachant pas vraiment pourquoi ils ont été épargnés. Leur expliquer que la « moulinette » des critères de licenciement ne les a pas désignés est une bien triste consolation ! Il est important d’investir du temps et des moyens dans la présentation du projet de restructuration et des perspectives d’avenir, d’organiser des lieux d’échanges et d’expression. Chacun d’eux est en droit de comprendre pourquoi ils restent dans l’entreprise.
Plus globalement comment doit se piloter un projet de restructuration ?
Comme un projet classique avec son calendrier contraint d’un côté par les échéances industrielles et commerciales et de l’autre les dispositifs d’information/consultation des IRP. Les objectifs financiers doivent être en tension pour que les économies à réaliser se construisent et que les objectifs de la restructuration soient atteints…ou pas.
Et le reclassement des personnels concernés ?
Cette étape est naturellement au centre de toutes les attentions car la perte d’un emploi et le chômage sont des événements critiques dans une vie. C’est l’effondrement de l’ensemble de la structuration de l’individu : détresse, perte d’estime de soi, isolement social. C’est pourquoi, le plus en amont possible et au-delà des obligations procédurières, il est impératif de prendre en charge leur accompagnement individualisé, n’en déplaisent aux industriels du reclassement et aux chasseurs de « low cost ».
Comment peut-on réussir une restructuration ?
Tout d’abord il est inutile de crier haro sur les restructurations car elles permettent dans de nombreux cas de pérenniser l’entreprise. Réussir une restructuration, c’est avant tout prendre conscience que c’est inadmissible, intolérable pour les personnes, les familles touchées. Par ailleurs, il ne faut surtout pas se cacher derrière la dictature du chiffre qui autorise et valide une approche mécanique, procédurale, systémique. Au contraire, il faut mettre les salariés au cœur du projet et répondre à la seule question légitime qu’ils se posent : « Et moi, je fais quoi ? ». Ensuite pour ceux qui vont vivre la restructuration (la réaliser, la conduire ou encore la subir) et pour ceux qui restent : « Comment continuerons-nous après à travailler ensemble ? ».
Est-il possible de retrouver du travail à l’ensemble des salariés touchés par un plan social ?
Il est difficile de répondre, cela dépend de la capacité d’absorption de nouveaux salariés dans la région concernée, du degré d’employabilité des salariés concernés, des mesures sociales prises… Il est cependant très rare de pouvoir reclasser 100% des personnes touchées par un plan social parce que le marché du travail est morose avec une demande nettement supérieure à l’offre. On rencontre des difficultés d’adéquation des profils des personnes à reclasser dans de nouveaux postes, cela pose la question de la formation tout au long de la vie. Souvent une fois sortie de l’école, on oublie de se former et donc de veiller à son degré d’employabilité et lorsque la rupture intervient… En conclusion, une phrase de Winston Churchill résume parfaitement le contexte « Il ne sert à rien de dire « nous avons fait de notre mieux ». Il faut réussir à faire ce qui est nécessaire ». C’est cet état d’esprit qu’il convient de réintroduire pour une conduite plus saine des restructurations.
Gérald Dudouet