Présenté officiellement au Conseil des Ministres le 9 mars prochain, le projet de loi de réforme du Code du travail porté par Myriam El Khomri, Ministre du travail, fait déjà couler beaucoup d’encre. Si le Medef et la droite se réjouissent d’un texte qui prône la flexibilité à la française, les syndicats de salariés mais aussi une partie de la majorité, sont vent debout contre ce texte jugé trop favorable aux entreprises. Licenciement économique, temps de travail, accords d’entreprise, etc…. revue de détails sur les changements potentiels pour les entreprises et les salariés.
Dans l’air du temps du travail
Les 35 heures élargies
Le principe : officiellement, on ne change pas la durée légale du travail qui reste à 35 heures par semaine et 10 heures par jour. Mais un accord collectif pourrait porter ce seuil à 12 heures en cas d’activité accrue ou pour motifs liés à l’organisation du travail. De même les 48 heures hebdomadaires maxi accordées par dérogation pourraient passer à 60 heures dans des cas exceptionnels. Enfin, si un accord collectif le prévoit, le temps de travail pourrait être porté à 46 heures pendant maximum 14 semaines.
- Ce que cela changerait pour les entreprises : pouvoir moduler le temps de travail à loisirs en fonction de l’activité. Bref, pouvoir enfin passer outre les 35 heures décriées par le patronat.
- Ce que cela changerait pour les salariés : Devoir faire preuve de davantage de flexibilité pour conserver leur emploi. Si l’autorisation de 46 heures par semaine est accordée, leur temps de repos quotidien sera par exemple provisoirement réduit. Et puis, les astreintes non travaillées seraient désormais décomptées comme du temps de repos minimal entre deux plages de travail.
Les heures sup’ sous accord
Le principe : au delà de la durée légale du travail, donc toujours 35 heures, la rémunération des heures supplémentaires resterait fixée à 25% pour les 8 premières heures et 50% au delà. Mais en cas d’accord d’entreprise, ou à défaut d’accord de branche, cette majoration pourrait tomber à 10%.
- Ce que cela changerait pour les entreprises : en signant un accord maison, elles pourront donc légalement abaisser le coût des heures supplémentaires. Pour le gouvernement, « cela permettrait aux entreprises d’adapter le taux de majoration en fonction de la situation économique ou de la taille de l’entreprise, qui peuvent être différentes au sein d’une même branche ».
- Ce que cela changerait pour les salariés : si le texte est appliqué en l’état, les heures supplémentaires risquent d’être 5 fois moins bien rémunérées qu’avant. Travailler plus pour gagner moins qu’avant.
Un forfait jours pour les grandes et les petites entreprises
Le principe : applicable aux cadres et aux salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, ce calcul du temps de travail ne compte pas les heures mais le nombre de jours travaillés dans la limite de 235 jours par an.
- Ce que cela changerait pour les entreprises : ce système serait maintenu et même élargi aux entreprises de moins de 50 salariés. Et ce, sans avoir besoin de signer un accord collectif.
- Ce que cela changerait pour les salariés : désormais tous les salariés un brin autonomes pourraient se voir proposer un forfait jours. Or dans une récente étude publiée par Cadremploi, s’ils pouvaient choisir leur contrat de travail, 60% des cadres opteraient pour un contrat forfait horaire de plus de 35 heures avec des jours RTT contre 28% pour un contrat en forfait jours. Actuellement, 50% sont régis par le premier type de contrat et 38% sont en forfait jours. Donc 10% souhaiteraient s’en débarrasser.
Licenciement revu et corrigé
Le licenciement économique assoupli
Le principe : l’avant projet de loi prévoit qu’un licenciement économique pourrait être consécutif à la cessation d’activité de l’entreprise, à des mutations technologiques, à une « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité » ou à des difficultés économiques. Ces dernières pourraient être caractérisées soit par une baisse de commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs par rapport à la même période de l’année passée. Soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie ou tout élément de nature à justifier de ces difficultés.
- Ce que cela changerait pour les entreprises : elles auraient des motifs supplémentaires pour prononcer des licenciements économiques.
- Ce que cela changerait pour les salariés : davantage de précarité et plus de difficulté à contester un licenciement économique. Une baisse du chiffre d’affaires, même pendant plusieurs mois, ne signifie pas nécessairement que l’entreprise est en danger. Et quid des entreprises qui pourraient s’efforcer de remplir ponctuellement ces nouvelles conditions afin de dégraisser « légalement » et maximiser leurs profits. Gageons qu’en cas de contentieux, l’état du marché sur lequel évolue l’entreprise sera toujours pris en compte par les juges.
Les indemnités prud’homales plafonnées
Le principe : les dédommagements accordés par les conseils de prud’hommes aux salariés du privé en cas de licenciement abusif seraient plafonnés en fonction d’un barème fixé selon l’ancienneté. Maximum 3 mois de salaire pour moins de 2 ans dans l’entreprise. 6 mois entre 2 et 5 ans d’ancienneté, 9 mois entre 5 et 10 ans, 12 mois entre 10 et 20 ans, et 15 mois de salaire au delà de 20 ans dans l’entreprise.
- Ce que cela pourrait changer pour les entreprises : malgré des moyens diamétralement opposés, petits et grands employeurs seraient logés à la même enseigne. Et puis, en fonction du profil des « sortants », les employeurs pourraient provisionner à l’euro prés, les sommes à verser. Donc moins de mauvaises surprises qu’avant. Mais les syndicats de salariés en ont fait un cheval de bataille et réclament le retrait pur et simple de cet article.
- Ce que cela pourrait changer pour les salariés : ce barème plafonné laisse au final peu de place aux circonstances dans lesquelles le licenciement abusif a été prononcé. Heureusement, le juge pourrait s’affranchir de cette grille (et octroyer des sommes plus conséquentes) si le dirigeant a commis une faute « d’une gravité particulière comme du harcèlement moral, un licenciement discriminatoire…
Des accords qui priment
Des accords majoritaires sinon on vote
Le principe : pour être validés, les accords d’entreprise devront être majoritaires. A savoir recueillir la signature de syndicats représentant 50% des salariés de l’entreprise, contre 30% auparavant. Toutefois, pour éviter des situations de blocage, le gouvernement voudrait autoriser la démocratie directe en entreprise. Donc permettre le recours au référendum lorsque les syndicats représentant 30% des salariés le demanderont pour valider un accord, au préalable refusé, par la majorité syndicale.
- Ce que cela pourrait changer pour les entreprises : cela pourrait leur donner l’opportunité de faire passer « en force » certains accords jusque là retoqués par les syndicats.
- Ce que cela pourrait changer pour les salariés : si l’on regarde le verre à moitié plein, cette démarche pourrait les amener à se rapprocher des syndicats de leur entreprise et donc relancer le dialogue social dans son ensemble. Dans le verre à moitié vide, on pourrait au contraire y voir une forme de pression supplémentaire pour les salariés. En effet, ce sont les dirigeants qui resteraient auteurs de la tournure de la question, du moment du vote et de son organisation. En formulant une question du genre « êtes-vous prêt à travailler plus pour conserver votre emploi ?», le vote est plié d’avance. Ou l’art de faire reposer une décision sur les épaules des seules personnes d’une entreprise qui n’ont en réalité pas les manettes.
Des accords offensifs aussi
Le principe : en plus de l’accord défensif, qui permet à une entreprise en difficulté conjoncturelle de négocier un accord de maintien dans l’emploi avec ses salariés (accords dits défensifs) prévoyant une baisse des salaires et/ou une hausse du temps de travail pendant maximum 5 ans, le projet de loi de El Khomri, autoriserait les entreprises à déployer des accords offensifs. Autrement dit une autorisation pour moduler le temps de travail et la rémunération pour la « préservation ou le développement de l’emploi », par exemple si elles veulent conquérir de nouveaux marchés ou honorer une nouvelle commande.
- Ce que cela pourrait changer pour les entreprises : elles auraient enfin le feu vert pour mettre en place les accords dit de compétitivité offensifs réclamés depuis plusieurs années par le Medef, le syndicat patronal.
- Ce que cela pourrait changer pour les salariés : s’ils refusent ces changements, ils pourront être licenciés pour motifs personnels et non plus pour raisons économiques comme c’était le cas dans les accords dits défensifs. Heureusement, ils restent éligibles aux indemnités de rupture et à l’assurance chômage, mais auront perdu leur emploi. Donc des accords difficiles (voire impossible) à refuser.
Sylvie Laidet