Par Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine.
En 1850, la révolution industrielle voyait la naissance des machines. Aujourd’hui, la révolution numérique place les ordinateurs aux côtés des travailleurs. Le phénomène n’est pas nouveau, mais son ampleur annonce des transformations massives de la société, notamment en matière d’emploi.
Dans tous les secteurs de l’économie, la robotisation transforme le marché du travail. Elle a surtout pour effet de détruire des emplois.
Pour l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, toute révolution commence par faire diminuer l’emploi. En effet, une innovation chamboule la production. C’est pourquoi les chevaux sont aujourd’hui très peu nombreux pour tirer les voitures. Dans un second temps, les nouvelles techniques créent de nouveaux emplois pour soutenir leur développement. C’est la théorie de la destruction créatrice. Elle s’est appliquée jusqu’à présent. Or, pour certains, le numérique ne produit pas autant d’emploi qu’il en détruit. C’est ce que soutient Daniel Cohen, auteur de « Le monde est clos et le désir infini« [1]. Il explique que des entreprises comme Facebook ou Apple ne créent qu’un tiers des emplois d’une entreprise automobile par exemple.
Les conséquences sont plus extrêmes pour le cabinet Rolland Berger qui prédit que le numérique sera à l’origine de la perte de trois millions de postes à l’horizon 2025. Plus pessimistes encore, Philippe Escande et Sandrine Cassini estiment qu’un emploi sur trois disparaîtra[2]. Daniel Cohen est le plus défaitiste puisqu’il avance le chiffre de deux professeurs d’Oxford, Carl Frey et Michael Osbourne qui, en 2013, estimaient une baisse de postes de 47 %.
Pourtant, le tableau n’est pas tout noir. Dans l’étude « The Future Of Jobs, 2025: Working Side By Side With Robots », le cabinet de recherche Forrester soutient que la numérisation de l’économie entraînera plutôt une mutation des métiers qu’une destruction pure et simple. En effet, si certains postes disparaîtront, tout comme les maréchaux-ferrants il y a un siècle, le marché du travail s’adaptera aux innovations. Ainsi, de nouveaux emplois seront créés tout au long du processus de la création de robots et automates. Des ingénieurs qui conçoivent les machines aux opérateurs qui les manipulent en passant par la maintenance qui les entretiennent, la main et surtout le cerveau de l’Homme sont indispensables à la robotique. C’est notamment l’enseignement des premiers mois d’expérimentation avec Zora, le robot de compagnie de la maison de retraite Les Balcons de Tivoli, au Bouscat près de Bordeaux. Loin d’être entièrement autonome, celui-ci nécessite l’utilisation d’une tablette par l’équipe de soin afin de fonctionner. Le temps du chômage technique est encore loin.
Thomas Frey, chercheur au think tank fututriste DaVinci Institute du Colorado, explique que « 60 % des métiers qui façonneront l’avenir n’ont pas encore été inventés ». En effet, qui s’imaginait il y a encore 10 ans, concepteur d’application mobile ? Les technologies se développant sans cesse, les métiers évoluent également. L’agence New Yorkaise Sparks & Honey a ainsi imaginé les professions que l’on pourrait voir apparaître. Si certaines paraissent farfelues, d’autres sont beaucoup plus d’actualité. L’avènement des drones a par exemple créé de nouveaux besoins. Les applications commerciales et militaires de ces petits appareils aériens nécessitent des opérateurs et des pilotes au sol. De même que le marché grandissant des robots domestiques multipliera les vendeurs experts en technologie afin d’aiguiller les consommateurs vers l’appareil qui leur conviendra. Les services à la personne auront également leur évolution avec la naissance d’imprimantes 3D, de télé-chirurgiens ou encore mémorialistes numériques chargés de proposer un service de souvenir post-mortem en ligne.
Enfin, la robotique présente un bénéfice non-négligeable : elle est très rentable. Entre le gain de productivité et la baisse des coûts, l’automatisation de l’économie a permis 30 milliards d’euros de recettes fiscales et d’économies budgétaires. 30 milliards d’euros ont ainsi pu être alloués à l’investissement. Et le consommateur n’est pas en reste puisqu’il pourrait profiter de 13 millions d’euros de pouvoir d’achat.
L’überisation de l’économie, c’est-à-dire la naissance de sociétés qui proposent les mêmes produits ou services en ligne à des prix plus compétitifs, est globale. Elle touche tous les secteurs et tous les acteurs de l’écosystème. Le phénomène découle de la numérisation de la société.
Ce raz-de-marée digital transforme et continuera de transformer en profondeur notre rapport aux objets, aux personnes et au travail. Si certains métiers vont disparaître inévitablement, d’autres apparaîtront pour concevoir, entretenir et faire fonctionner les nouvelles techniques et technologies qui nous entourent.
Le futur est déjà là, c’est une réalité. Aujourd’hui l’enjeu consiste pour nous à en tirer le meilleur parti, comme consommateur bien sûr, mais surtout comme citoyen, devant rester attentif à son employabilité, à son indispensable capacité à trouver sa place sur le marché du travail de demain. Il en est de notre responsabilité individuelle. Pour cela, il faut commencer par voir et accepter le monde tel qu’il est.