La quête de sens des jeunes actifs, une lame de fond qui ébranle les grands groupes

par La rédaction
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Une part grandissante de jeunes actifs, parfois issus des toutes meilleures écoles, peine à trouver ses marques dans notre modèle économique. Certains en arrivent à déserter les grands groupes. Un défi pour les entreprises et les DRH qui doivent trouver de nouveaux moyens d’attirer ces talents fâchés avec un “système” qui ne leur convient pas.

 

Quand une certaine “réussite sociale” ne fait plus rêver les jeunes actifs

Une grande école, un stage prestigieux, des propositions d’embauche de belles entreprises, la promesse d’un avenir radieux avec fortes responsabilités, voiture de fonction, salaire à l’avenant. Les marqueurs traditionnels de la réussite sociale. Et pourtant, la machine se grippe, l’avenir déjà tout tracé sort de ses rails. Les nouvelles générations ne sont plus dupes de ce conformisme-là. 

Ils sont de plus en plus nombreux, à l’instar de cette jeune diplômée qui a travaillé quelques mois dans la grande distribution, à éprouver un choc en entrant dans la vie active. Une “vie active” qui échoue à faire sens pour eux et dont le modèle consumériste est étranger sinon contradictoire avec leurs propres valeurs et convictions. Fraîchement émoulue, mais ne supportant pas ce conflit de loyauté, elle a démissionné. « Au bout de quelques mois j’ai réalisé que j’étais dans un bullshit job.» Pour se lancer dans l’économie sociale et solidaire

 

Enjeux sociétaux et désir de souveraineté individuelle 

Le phénomène ne serait pas anecdotique. « Environ 30 % de ma promotion correspond à ce profil. Au-delà, c’est une écrasante majorité qui aspire à un autre modèle de réussite », explique Arthur Gosset, 24 ans, jeune actif de Centrale Nantes, réalisateur de “Rupture(s)”, un récent documentaire qui met en lumière les témoignages de six jeunes diplômés des plus grandes écoles ne se reconnaissant pas dans notre modèle économique. « Les responsables académiques le constatent : la question écologique prend de l’importance parmi les étudiants qui veulent un job à impact », rapporte le jeune homme.

Cause environnementale, conscience écologique, urgence climatique, principes low-tech, désir d’être en phase avec ses propres valeurs et rupture avec des modèles destructeurs dont ils refusent d’être complices, désir de trouver un meilleur équilibre de vie, rebâtir du social et du solidaire, volonté d’être le souverain de sa propre existence, … tels sont, pêle-mêle, les motifs évoqués par ces jeunes actifs désireux de “faire sens” en s’affranchissant de la voie pour laquelle ils étaient “programmés”. Pour beaucoup, on est loin d’un simple “blues du businessman” mais dans une réelle volonté, politique, d’inscrire idées, valeurs et convictions au cœur même de son projet de vie. 

Comment rester sourd à la révolte de cette élite face au défi écologique ? Déjà, en 2018, avec la marche pour le climat, les actions de désobéissance civile, le boycott de certains grands groupes industriels, le mouvement donnait de la voix et en particulier par le “Manifeste pour un réveil écologique” signé par plus de 32 000 étudiants en quelques mois. Tout porte à croire que les DRH comme les grandes écoles n’ont pas fini de les entendre. 

 

60% prêts à choisir un poste plus précaire s’il est porteur de sens

Une exigence grandissante en matière d’engagement des acteurs économiques et un besoin de sens à l’échelle individuelle, c’est ce qui ressort du dernier baromètre “Talents, ce qu’ils attendent de leur emploi” réalisé par le BCG, la Conférence des grandes écoles et Ipsos auprès de plus de 2 000 étudiants et diplômés des grandes écoles. Massivement (72%), les sondés estiment les grandes entreprises comme très insuffisamment engagées sur le plan de la responsabilité sociétale (RSE). 

Et 60% des sondés se disent prêts à occuper un poste plus précaire s’il est porteur de sens et respectueux des enjeux sociétaux. Pour ces enjeux, les jeunes actifs se déclarent quant à eux disposés à accepter une diminution de leur salaire de 12% en moyenne. 

Confrontées à cette recherche de sens et d’impact positif sur la société toujours plus affirmée par les candidats, les entreprises ont compris qu’il y avait péril en la demeure. En 2019, Patrick Pouyanné, PDG de Total, déclarait déjà que sa « principale peur » était de ne pas être en mesure d’« attirer les talents » pour développer les énergies vertes.

De plus en plus, elles se sentent obligées de s’adapter au phénomène et les DRH y travaillent. En écoutant les besoins des jeunes actifs (sens, intérêt du poste, équilibre et épanouissement, etc.), les entreprises peu à peu changent de modèle pour se donner les moyens d’attirer et retenir ces candidats plus exigeants que leurs aînés. L’essor du télétravail, certes poussé par la crise sanitaire mais aussi par une volonté d’obtenir un contrôle accru de son quotidien, en témoigne. Le développement des compétences individuelles est davantage mis en avant, de même que des politiques RSE soucieuses des enjeux sociétaux. 

Olivier de Vitton