Il y a quelques semaines, Christophe Patte — directeur myRHline — publiait un post LinkedIn sur Emma, une salariée en rémission. Or, en réalité, cette histoire est la mienne.
Cela fait exactement 2 ans que j’ai été prise dans l’engrenage du cancer. En effet, à 30 ans, on m’annonçait que j’étais atteinte d’un stade avancé du crabe ou le K pour les intimes. De la chirurgie à la chimiothérapie, il m’aura fallu près de 18 mois pour en sortir.
Dans cet article, je vais donc vous parler du cancer. Un sujet qui a encore du mal à faire son chemin en entreprise. En particulier en ce qui concerne la prévention et le soutien aux salariés malades.
Cancer en entreprise : la loi du silence
Parler du cancer est un sujet sensible et complexe. Une bonne raison à cela : le mot « cancer » suffit à faire peur. D’ailleurs, je le vois depuis 2 ans : dès que je prononce ces 6 petites lettres, la gêne s’installe.
C’était le cas lors du diagnostic, c’était encore le cas pendant mon traitement et ça l’est toujours depuis que je suis en rémission. Quelle que soit l’étape du cancer, mon oncologue m’avait dit : « Face à vous, certaines personnes ne verront plus que la maladie. Elles ne sauront plus quoi dire ni même comment se comporter. Comme si le cancer pouvait suffire à vous résumer. »
Et c’est vrai : la plupart préfèrent éviter le sujet pour éviter le malaise. Sûrement de manière inconsciente, mais sans grande logique, pour mettre à distance le « danger » que représente la maladie.
C’est ainsi que le cancer s’inscrit comme un sujet tabou dans notre société : il fait peur, donc nous n’en parlons pas.
Une réalité d’autant plus marquée en milieu professionnel où le cancer — comme la santé de manière générale — est à la frontière de la sacro-sainte limite entre vie professionnelle et vie privée.
Sur ce point, c’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue. Les dirigeants se posent la question de la légitimité de l’entreprise à s’emparer du sujet. Et, de leur côté, les salariés associent le plus souvent la santé à une problématique relevant de la sphère privée.
Une sorte de « loi du silence » tolérée par tout le monde. Alors même que selon les chiffres publiés par la Ligue contre le cancer :
- 3,8 millions de personnes vivent aujourd’hui avec un cancer ou en ont guéri ;
- 1 personne sur 4 est en emploi lorsqu’elle apprend sa maladie ;
- 30 % des actifs touchés par le cancer ne sont plus en emploi 2 ans après le diagnostic.
Je vis depuis 2 ans dans les statistiques et les probabilités, alors croyez bien que je sais à quel point ces chiffres sont abstraits. Néanmoins, j’en ai un dernier beaucoup plus parlant : 5. C’est le nombre moyen de jours que nous passons toutes et tous au travail chaque semaine.
À mon sens, s’il y a bien un endroit où l’on peut décomplexer la parole, sensibiliser et contribuer, à une certaine échelle, à prévenir la maladie, c’est bien sur le lieu de travail.
Prévention : parler du cancer en entreprise
Le monde du cancer est fait de beaucoup de chiffres, de probabilités, de statistiques : part des hommes et femmes touchés par tel cancer, âge moyen de survenance… Des indicateurs importants, mais qui, je trouve, contribuent d’une certaine manière à renforcer la dimension très abstraite de la maladie.
Croyez en mon expérience : le cancer peut toucher tout le monde, à n’importe quel âge et, parfois, sans qu’aucun médecin, aucune analyse génétique, ne puisse l’expliquer. C’est pour cela qu’il faut s’engager à faire de la prévention au travail.
Il est vrai que, depuis quelques années, les entreprises s’approprient les grandes campagnes de communication : Octobre Rose, Movember, Septembre Turquoise, etc. Quand on sait que 40 % des cancers pourraient être évités en changeant les comportements et les modes de vie, on comprend à quel point ces événements sont essentiels en milieu professionnel.
Toutefois, la prévention ne doit pas s’arrêter là. Car informer les collaborateurs des risques (tabac, alcool, soleil…) et des bienfaits d’une bonne hygiène de vie contribue, mais ne suffit pas, à sauver des vies justement.
Je caricature un peu, mais dire qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour, pratiquer une activité physique régulière, arrêter de fumer n’est en réalité qu’un premier pas. Cela ne nous encourage pas à prendre vraiment soin de nous ou des autres.
Et ce, à la différence de dispositifs concrets qui peuvent être déployés en entreprise comme :
- l’autorisation d’absence pour réaliser des examens médicaux ;
- l’accès à des bilans de santé ou de dépistage.
En effet, sous prétexte de manquer de temps, combien d’entre vous ont déjà repoussé (plusieurs fois) un examen médical ? Sauf qu’il faut le dire : disposer de 2 h pour faire une imagerie en temps et en heure, ça sauve des vies. Concrètement.
En tout cas, ça a sauvé la mienne.
Soutenir le salarié pendant le traitement
Bon nombre d’organisations maîtrisent le dispositif de reprise du travail après un cancer ou toute autre maladie liée à un arrêt longue durée. Mais qu’en est-il du soutien et de l’accompagnement du salarié pendant le traitement ? Il est arrêté, et c’est tout ? On l’oublie en attendant qu’il puisse réintégrer l’entreprise ? On brandit la limite vie pro-vie perso qu’il ne faut, sous aucun prétexte, franchir ?
Non, il y a des voies de passage que les RH, l’employeur, les collègues de travail peuvent emprunter. Et ce, bien entendu, sans empiéter sur la nécessaire déconnexion de la vie professionnelle pendant le traitement.
Informer sur les démarches administratives
Premier point sur lequel l’entreprise peut agir : informer le collaborateur sur les démarches administratives qu’il peut entreprendre. Il s’agit notamment de :
- passer en ALD via le médecin traitant ;
- faire la mise en invalidité auprès de la CPAM ;
- constituer le dossier handicap auprès de la MDPH ;
- obtenir des aides de la mutuelle et/ou de la prévoyance.
En pratique, cela fait souvent partie du « package » social lorsque l’on est soigné pour un cancer. Dans mon cas, par exemple, j’ai pu rencontrer une assistante sociale à l’hôpital qui m’a informée sur ces dispositifs.
Or, ce n’est pas toujours le cas. J’échange régulièrement avec d’autres malades soignés dans toute la France. Alors qu’ils sont déjà débordés par les obligations médicales, certains doivent, entre deux chimiothérapies, encore aller chercher par eux-mêmes les informations sur ces démarches.
Il faut savoir qu’elles sont souvent longues et fastidieuses, surtout la mise en invalidité et le dossier handicap. Parfois, ce sont de véritables parcours du combattant. À titre d’exemple, la CPAM a mis plus de 8 mois à régulariser mon dossier. Il ne faut donc pas perdre de temps.
Vous me direz que les salariés n’ont pas l’obligation de communiquer sur leur maladie. C’est vrai. Néanmoins, lorsqu’il s’agit du cancer, je pense que c’est souvent le cas. Ainsi, que le collaborateur soit malade ou proche aidant, les RH sont tout à fait légitimes à transmettre ces informations, même de façon sommaire, dès le début pour permettre un véritable gain de temps.
Maintenir le lien social
Autre réalité pendant les traitements : l’érosion du lien social, notamment pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Alors, comment maintenir la relation avec le collaborateur pendant son arrêt ? Délicat pour l’entreprise, je sais.
Mais, dans les faits, il est tout à fait possible de prendre des nouvelles de temps en temps, sans être intrusif. Et ce, avant même d’organiser le retour du salarié en rémission. Il peut aussi bien s’agir d’envoyer un e-mail pour le tenir informé des évènements relatifs à la vie de l’entreprise ou encore de l’inviter à des moments de convivialité.
En somme, des prises de contact ponctuelles, très simples, très humaines, qui peuvent tout changer. Car elles contribuent, entre autres, à garder un pied dans la réalité. Mais aussi à se projeter dans ce qu’on appelle l’après-cancer.
À savoir : La Ligue propose le dispositif Lig’Entreprises pour accompagner les entreprises à s’engager contre le cancer.
Cancer et entreprise : conclusion d’une salariée en rémission
Sensibilisation, prévention, accompagnement… Je ne prétends pas détenir la vérité absolue sur ce que les RH doivent mettre en place ou non au sein de l’entreprise. Comme je le disais au début de cet article, le cancer est un sujet complexe. Et, par la force des choses, effrayant.
Pourtant, ne pas en parler ne le fera pas disparaître pour autant. En revanche, cela contribue à en faire quelque chose de trop abstrait. Et difficile à appréhender comme un sujet de QVCT à part entière par les RH.
Est-ce qu’il y a vraiment plus de cancers qu’avant ? Je ne sais pas. Cependant, les dépistages tout comme les traitements évoluent. Rappelant la seule « vérité » sur le cancer : plus la prise en charge est précoce, plus il est possible d’en guérir.