Un entretien avec David Guillocheau, directeur associé de Talentys, entreprise spécialisée dans l’accompagnement des DRH dans l’utilisation des nouvelles technologies.
Pouvez-vous nous dire quels sont les usages 2.0 des DRH à l’heure actuelle ?
Les processus RH, déjà très consommateurs de solutions informatiques, commencent à utiliser des technologies dites « 2.0 ». On constate que les outils 2.O sont essentiellement mis en œuvre pour le recrutement, la formation et la communication interne. Au niveau du recrutement, le 2.0 est utilisé dans le sourcing avec une multidiffusion des annonces y compris sur les réseaux sociaux tels que Viadéo et LinkedIn. Chacun d’eux propose d’ailleurs des offres spécifiques pour les recruteurs. Sont apparus sur le marché de nouveaux acteurs, comme Multiposting ou IQuest, pour offrir des connecteurs et répondre aux demandes des grands comptes et de leurs SIRH. Les DRH ont également investi le net pour mettre en place leur communication interne. Groupes sur les réseaux sociaux internes, annuaire de profils riches, blogs, ils commencent à utiliser ces nouveaux moyens mis à leur disposition.
En matière de formation, le « social learning » prend de l’importance. Les départements formation et Universités d’entreprise complètent de plus en plus leurs classes en présentiel avec des communautés apprenantes en ligne. Le 2.O permet de continuer la relation entre les apprenants en dehors des murs des salles de formation et s’affranchissent de l’éloignement géographique. La formation s’enrichie d’une dynamique de coaching collectif, qui privilégie l’entraide dans les applications concrètes des connaissances et le partage des informations sur les bonnes pratiques.
Toutefois, il faut constater que l’on est qu’au début d’une nouvelle phase importante d’évolution des processus et des technologies de la RH. Les expérimentations et autres pilotes se multiplient mais les processus et le SIRH n’ont pas encore été revisités réellement.
Quelles sont les conséquences de l’utilisation des nouvelles technologies au sein de l’entreprise ?
Le 2.0 favorise la collaboration en entreprise et modifie peu à peu la relation au travail et la manière de communiquer. La communication purement informative avec des audiences passives est remise en cause par une communication basée sur le dialogue avec une co-production des contenus. Chaque collaborateur a la capacité de donner son avis. Traditionnellement, les responsables RH passent la majorité du temps consacré à la communication interne à peaufiner des communiqués qui sont envoyés aux collaborateurs. Avec la communication 2.0, la majorité du temps sera à consacrer au dialogue. La rédaction doit être plus rapide, plus directe, moins institutionnelle.
Certains dirigeants, un peu pionniers, s’approprient également aujourd’hui ses nouveaux outils pour expliquer la stratégie et leurs actions. Cela répond à une attente des salariés en matière de transparence sur la stratégie d’entreprise mais aussi à un enjeu de performance de l’organisation en la rendant davantage alignée. Nous devenons tous communicants potentiels ! Au sein de l’entreprise, on multiplie les émetteurs d’informations. Plusieurs responsables sont appelés à prendre la parole.
Les DRH doivent par conséquent apprendre à lâcher prise car ils ne pourront pas tout maîtriser. C’est vrai que de cette « décentralisation » et cette transparence mettent sous tension notre culture de management à la française. Lorsqu’un responsable ou un manager poste une information, il peut y avoir des centaines de commentaires en 24 heures. Cela peut être très anxiogène et consommateur de temps. Il faut donc développer de nouvelles pratiques pour utiliser les outils concrètement à son avantage. On mettra ainsi des dispositifs de gouvernance et de régulation plutôt que des processus de contrôle de la communication.
Le 2.0 est-il seulement l’apanage de la génération Y ?
Il s’agit d’une idée répandue mais fausse. Les nouvelles générations utilisent certes beaucoup les réseaux sociaux pour leur usage personnel mais il est prouvé qu’elles prennent souvent moins la parole pour ce qui est des usages 2.0 internes. Et puis, à l’heure actuelle, tout le monde achète sur le net ou donne son avis sur des forums. Pour l’appropriation des nouvelles technologies ce n’est pas l’âge mais l’usage qui compte. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas opportun de lancer ses premiers projets vers une population de jeunes collaborateurs comme par exemple les hauts potentiels, les jeunes recrues.
Une autre population beaucoup plus inattendue pour faciliter le déploiement des usages 2.0 dans l’entreprise : les dirigeants. En effet, plus technophobes que technophiles, ils ont changé pour leur majorité avec l’avènement des smartphones et en particulier du Blackberry qui a ciblé à ses débuts les dirigeants. Ils n’utilisent pas beaucoup l’Intranet mais utilisent régulièrement leur Blackberry. Hors le 2.0 c’est aussi la mobilité avec des applications pour iPhone ou Blackberry. Voila une porte d’entrée supplémentaire et importante, car si les dirigeants ne s’approprient pas les outils 2.0, l’entreprise ne mutera pas totalement ni rapidement. Dans nos organisations, beaucoup de choses doivent venir du haut.
De quelle façon les outils 2.0 peuvent-ils aider le middle management ?
Les possibilités offertes par les usages 2.0 sont multiples pour favoriser la performance et l’innovation et, à ce titre, intéressent les managers. Mais comme on l’a vu, ils ont aussi des impacts forts sur la manière de travailler et de manager. Par exemple pour l’innovation, les collaborateurs auront la possibilité de publier des propositions dans une boîte à idées visible de tous en ligne. Les autres salariés pourront voter sur les projets émis. Si le collaborateur se trouve dans la top list, il sera par la suite très difficile à son N+1 de juger sa contribution de façon sévère lors de l’entretien annuel ! Cette une approche suffragette dans l’entreprise est une remise en cause de l’autorité traditionnelle du manager. Il ne faut pas craindre ce changement mais l’accompagner. La cohésion naît d’un équilibre où chaque partie prenante s’y retrouve. Pour le manager il faut développer l’envie et la compétence pour faire grandir le potentiel de son équipe. La notion de manager coach de plus en plus traitée sera très utile.
Comment la fonction RH elle-même peut-elle trouver un nouveau fonctionnement via les outils 2.0 ?
Souvent la RH est composée de collaborateurs répartis au sein de business units et des localisations de l’entreprise. Il y a alors un réel besoin de fédérer cette fonction. Les DRH sont à l’heure actuelle beaucoup esseulés face aux grandes problématiques de diversité, responsabilité sociale ou encore de mobilité, de recrutement. En créant des communautés RH, le 2.O permet de créer du lien, de donner corps à cette communauté professionnelle. La DRH peut ainsi avoir un contrat direct et interactif avec les acteurs de sa filière. Avec les nouvelles technologies, la fonction RH s’organise en réseaux, collabore en mode projet, et devient une organisation apprenante.
Propos recueillis par Christel Lambolez