Les cadres, surtout ceux à haut potentiel, sont-ils un chantier négligé ? Les entreprises ont-elles raison de faire confiance à leur adhésion corps et âme au monde enchanteur du management moderne ? Est-ce qu’il existe une pensée unique du management qui étouffe le dialogue et viole la sphère privée ?
La nécessité de la survie fait de l’entreprise un lieu de soumission où elle cherche à tirer le maximum de ses salariés, à commencer par les cadres dits à haut potentiel. Voulant réussir, ces derniers véhiculent les valeurs de la direction la tête dans le guidon.
Au delà – ou en deçà – de la « souffrance au travail », ce livre est le premier qui analyse un phénomène proche, mais plus subtil, celui de la « contrainte douce » de l’entreprise envers ses cadres, cas vécus à l’appui, avec de nombreuses interviews. Les auteurs démontrent que la contestation en entreprise ne se réduit pas à un simple pétage de plombs et qu’elle peut même être créative.
Présentation des auteurs :
Jean-Claude Thoenig, ancien professeur à l’INSEAD, est directeur de recherche au CNRS affecté au laboratoire Dauphine Recherche en Management, université Paris-Dauphine.
David Courpasson est professeur à l’EM-Lyon.
Tous deux sont consultants et sociologues des organisations.
My RH Line : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un tel ouvrage ?
Jean-Claude Thoenig : Nous avons décidé d’écrire cet ouvrage car il n’existait rien à notre connaissance sur un tel sujet, que ce soit dans la littérature francophone ou dans la littérature anglophone. Ce livre est une première. Ce phénomène de rébellion existe depuis quelques temps, mais à commencer par mon co-auteur et moi-même, nous sommes passés à côté en nous disant qu’il s’agissait de crises existentielles individuelles de personnes, des personnes qu’il fallait adresser à un pathologue. Nous avons rencontré dans nos fonctions de recherche ou de formation, des cadres d’entreprise sur le terrain et nous avons regardé cela trop vite. Nous nous sommes rendus compte que le phénomène se répétait et nous avons voulu nous y intéresser. Nous expliquons cela dans le premier chapitre du livre.
My RH Line : Qui sont ces cadres et pourquoi se rebellent-ils ?
Jean-Claude Thoenig : Avant d’aller sur le pourquoi, il y a toujours une question à se poser : qui sont ces personnes? Il ne s’agit pas de n’importe qui. Il y a des choses qui les caractérisent.
D’abord, ces personnes estiment qu’on leur demande quelque chose d’irréalisable ou d’inacceptable pour des raisons diverses. (Exemple : un directeur d’agence bancaire se voit imposer de nouveaux critères d’évaluation par sa hiérarchie centrale, et n’est pas d’accord.). Le cadre est alors positionné sur le registre de la désobéissance. La hiérarchie se dit que cela lui passera, qu’il a « pêté les plombs » ponctuellement. Il peut également y avoir de la déception de la part de la hiérarchie qui misait sur ce cadre modèle, ne comprend pas qu’il ne s’aligne pas sur une décision et se dit qu’elle l’avait mal perçu.
La hiérarchie n’écoute pas la revendication de son collaborateur et ne cherche pas à savoir s’il a raison ou non de se rebeller. Elle ne se dit pas qu’il connaît peut-être mieux le métier en travaillant sur le terrain ou a peut-être des idées alternatives.
Cette incompréhension apparaît dans les entreprises dans lesquelles il existe un fossé, un hiatus entre les valeurs et le management hégémonique (façon de penser unique dans la pratique) qu’elles affichent et les pratiques qu’elles adoptent. Ces valeurs sont celles de développements des talents, respects des personnes… Un discours de management dit moderne.
Il ne s’agit pas de décisions autoritaires, mais le problème vient du fait que l’entreprise n’écoute pas et n’acceptent pas qu’elles s’adressent à des personnes susceptibles d’avoir de bonnes idées.
D’abord, ces personnes estiment qu’on leur demande quelque chose d’irréalisable ou d’inacceptable pour des raisons diverses. (Exemple : un directeur d’agence bancaire se voit imposer de nouveaux critères d’évaluation par sa hiérarchie centrale, et n’est pas d’accord.). Le cadre est alors positionné sur le registre de la désobéissance. La hiérarchie se dit que cela lui passera, qu’il a « pêté les plombs » ponctuellement. Il peut également y avoir de la déception de la part de la hiérarchie qui misait sur ce cadre modèle, ne comprend pas qu’il ne s’aligne pas sur une décision et se dit qu’elle l’avait mal perçu.
La hiérarchie n’écoute pas la revendication de son collaborateur et ne cherche pas à savoir s’il a raison ou non de se rebeller. Elle ne se dit pas qu’il connaît peut-être mieux le métier en travaillant sur le terrain ou a peut-être des idées alternatives.
Cette incompréhension apparaît dans les entreprises dans lesquelles il existe un fossé, un hiatus entre les valeurs et le management hégémonique (façon de penser unique dans la pratique) qu’elles affichent et les pratiques qu’elles adoptent. Ces valeurs sont celles de développements des talents, respects des personnes… Un discours de management dit moderne.
Il ne s’agit pas de décisions autoritaires, mais le problème vient du fait que l’entreprise n’écoute pas et n’acceptent pas qu’elles s’adressent à des personnes susceptibles d’avoir de bonnes idées.
My RH Line : Quelles sont les conséquences de cette rébellion ?
Jean-Claude Thoenig : Tout le monde y perd. A court terme, c’est très difficile à vivre pour le cadre. Il passe des moments difficiles, des périodes de doutes profonds psychologiquement.
A moyen terme c’est encore plus dramatique, car l’entreprise y perd aussi. La hiérarchie déclasse parfois des personnes pourtant compétentes.
A moyen terme c’est encore plus dramatique, car l’entreprise y perd aussi. La hiérarchie déclasse parfois des personnes pourtant compétentes.
Les rebelles ont des devenirs divers, certains partent, d’autres restent, courbent l’échine et vivent avec. Malgré tout, nous avons tout de même rencontré, dans un ou deux cas, des cadres qui quelques années plus tard vont réussir, monter dans la hiérarchie car leur façon de penser était la bonne. Il y a toute sorte de choses, mais dans la plupart des cas, les entreprises y perdent aussi, notamment en créativité.
My RH Line : Comment avez-vous construit votre ouvrage ?
Jean-Claude Thoenig : Il est construit autour d’exemples que nous décortiquons au fur et à mesure et dont nous trouvons les traits généraux. On nous a dit que c’était un ouvrage très agréable à lire car la façon d’exprimer les choses est claire. Il n’y a rien d’abstrait ni d’académique.
My RH Line : A qui est destiné votre ouvrage ?
Jean-Claude Thoenig : Cet ouvrage à deux publics à la fois.
Il est destiné à des cadres dirigeants qu’ils soient généralistes ou spécialistes des RH.
Il est également destiné à un public de personnes qui font de la recherche sur les phénomènes de management des organisations, sur les phénomènes de management des RH, des professeurs, des consultants.
Il est également destiné à un public de personnes qui font de la recherche sur les phénomènes de management des organisations, sur les phénomènes de management des RH, des professeurs, des consultants.
Il peut également être destiné à un public plus large.
Ces rebelles, ce ne sont pas des contestataires de nature, il n’exercent pas de contestations idéologiques. Ces rebellions partent de choses liées au vécu dans l’entreprise. Ce ne sont pas non plus des gens qui vont déclencher des mouvements sociaux à travers des formes traditionnelles de médiation, par exemple la forme syndicale.
My RH Line : Vous avez reçu trois prix pour votre ouvrage, comment l’expliquez-vous ?
Jean-Claude Thoenig : Nous sommes actuellement dans un contexte de crise et des solutions aux problèmes dans les entreprises sont étudiées a posteriori. C’est bien de développer des soins cliniques pour les gens qui fument trop, par exemple, combattre le tabagisme avec des soins, intervenir quand ça va déjà mal, moi je préfère la médecine préventive.
C’est l’attitude générale. Aujourd’hui nous entendons beaucoup parler des pathologies suicidaires, du stress. Il faut faire appel à des spécialistes de la pathologie, il y a tout un marché qui s’est développé sur le traitement individuel des situations.
C’est l’attitude générale. Aujourd’hui nous entendons beaucoup parler des pathologies suicidaires, du stress. Il faut faire appel à des spécialistes de la pathologie, il y a tout un marché qui s’est développé sur le traitement individuel des situations.
Nous souhaitions expliquer qu’il y a d’autres formes de problèmes qui n’aboutissent pas nécessairement à du stress mais à des phénomènes de rébellion. Il faut les prendre au sérieux également. Le fond du problème est ailleurs. Si on généralise, les rébellions naissent dans les entreprises dans lesquelles il y a un hiatus entre les affichages et les pratiques quotidiennes. Derrière tout ça, la pression à la performance s’accroit c’est vrai, mais il y a une chose fondamentale qui s’est passée. Il y a aujourd’hui un vide dans les fonctions de commandement de proximité. Pour les personnes qui sont dans une entreprise, quel que soit leur niveau, un des éléments déterminants pour leur insertion, dans le fait de donner sens à ce qu’elles font à travers leur travail, dans le sens d’une sorte d’insertion communautaire, c’est la proximité de la ligne de commandement.
Il n’y a plus de cadre intermédiaire stable. Il n’y a plus de répondant au-dessus immédiatement.
Aujourd’hui, on observe de véritables râteaux hiérarchiques où un supérieur peut avoir jusqu’à 18 ou 20 subordonnés directs répartis à travers le monde, il n’y a plus rien d’autre que des relations anonymes sur les performances mensuelles.
C’est la perte du lien fonctionnel qui entraine cette rébellion.
Propos recueillis par Anne-Sophie Duguay
Achetez l’ouvrage « Quand les Cadres se rebellent », de Jean-Claude Thoenig et Arnaud Courpasson.