Vous arrivez au bout de votre process de recrutement, vous avez réduit la short-list à deux candidats finalistes, et il faut faire un choix. Difficile. Les deux profils sont intéressants pour le poste, chacun à leur manière, alors… Alors pourquoi ne pas les recruter tous les deux ? C’est tentant. La période d’essai est en plus le meilleur test de recrutement, donc dans quelques mois on gardera celui ou celle qui aura su se démarquer. Si vous êtes dans le domaine RH, vous avez nécessairement été confronté à cette situation. Voici un petit recul sur le sujet.
D’un point de vu légal
Car le premier bon réflexe est de se plonger dans le code du travail. Nous sommes face à un cas de rupture de période d’essai. Si on s’en tient au droit discrétionnaire de cette rupture, il est possible de licencier la personne moins performante sans motif.
Cependant, cette rupture peut être considérée comme abusive si elle n’est pas liée aux compétences du salarié. Elle est par exemple jugée comme telle si elle est motivée par des raisons professionnelles, par exemple s’il s’agit d’une suppression de poste. Voir l’article des éditions Tissot de mars 2014 sur le sujet.
Cette pratique peut donc être réalisée, mais ne peut pas être acceptée comme telle au regard du droit du travail.
D’un point de vu éthique
La question se pose ; peut-on tolérer une telle pratique ? Sur le principe, il paraît essentiel de poser la condition suivante : que les personnes impliquées soient informées de ce fonctionnement et qu’elles y consentent en prenant le poste. Mais dès lors, les conditions légales mentionnées précédemment ne sont pas respectées. En tant que psychologue du travail, je ne peux me suffire du principe sans réfléchir aux conséquences. En effet, on constate tous les jours que les meilleures intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats. Et c’est le cas ici.
Tentons le coup. Recrutons deux personnes pour un poste. Les informant du principe, nous avons bonne conscience. Commence la compétition, attendue et dynamisante. Les résultats sont au rendez-vous. Puis viennent les coups bas, les actions pour se mettre en avant, les rumeurs, le clivage de l’équipe autour des profils. Finalement, les personnes ne se challengent pas pour être les meilleures dans ce qu’elles font, mais pour être meilleures que l’autre, avec qui elles sont sensées avancer. Et quand, après quelques mois, une personne finie par être remerciée, que reste-t-il ? Une personne en poste dont les résultats baissent (ou au mieux stagnent) car elle n’est plus dans la logique de compétition qui l’avait portée, et une ambiance dans l’équipe qui pousse plus au turn-over qu’à la cohésion. Ce n’est pas ce que vous voulez…
Le tableau est peut-être un peu noir. L’histoire qui suit illustre concrètement ce qui vient d’être évoqué, avec une fin plus glorieuse.
Le cas dans une équipe de france de sport
A l’occasion de la conférence Smarter Workforce d’IBM, Daniel CONSTANTINI, ex- sélectionneur de l’équipe nationale de Handball, relatait les leçon qu’il avait tiré de sa carrière en terme de recrutement et performance collective.
Il a notamment évoqué le cas où il cherchait à recruter un ailier gauche, profil rare et stratégique dans ce sport. Le sélectionneur s’est retrouvé face à un dilemme : il avait deux joueurs potentiels, de même âge, même taille, qui avaient fait une école similaire et d’un niveau comparable. Il recrute donc les deux en se disant que l’un se démarquerait et prendrait le poste en tant que titulaire.
Au bout de quelques temps, c’est ce qui finit par arriver. Du coup l’autre joueur est remercié. Cependant, désormais sans concurrent, le titulaire devient arrogant, joue moins bien, baisse en implication, au point qu’il ne veut pas venir à un match. Daniel CONSTANTINI appelle alors l’autre joueur, qui accepte de revenir. Il restera finalement avec les deux joueurs, ce qui est la condition de pérennité du poste, et qui lui permet d’avoir différentes stratégies.
Leçon : comme lors d’une expérience scientifique, lorsqu’on change les conditions on change les conclusions.
Si il est possible de l’utiliser, cette pratique n’est pas tolérée légalement et les résultats peuvent se retrouver loin de ceux escomptés initialement. Le meilleur argument à opposer aux opérationnels qui seraient tentés par l’expérience, c’est de les amener aux conséquences de cette stratégie comme évoqué dans le second paragraphe.
Simon BARON