La réalité économique de plus en plus dure contraint les managers à endosser des rôles délicats vis-à-vis de leurs équipes. Pour être plus performants, un seul chemin : sortir de sa « zone de confort managériale ». Afin d’y parvenir et d’agir efficacement, les managers ont besoin d’accéder à leurs meilleures ressources en apprenant à mobiliser leur courage.
Présentation de l’auteur :
Jean-Paul Lugan, consultant formateur et coach spécialisé en management d’équipes, conduite du changement et techniques de communication a écrit cet ouvrage en collaboration avec Philippe Ruquet, coach spécialisé dans l’accompagnement de managers, d’entraîneurs et de sportifs de haut niveau, afin de guider les managers dans leurs choix.
MyRHLine : Vous êtes un ancien sportif et spécialiste du milieu, pourquoi avez-vous choisi aujourd’hui d’agir dans le monde de l’entreprise ?
Jean-Paul Lugan : Je suis un ancien sportif au niveau régional. J’ai toujours considéré le sport comme étant un hobby ou une passion. Parallèlement à cela, j’ai mené des activités professionnelles et toujours veillé à ce qu’un certain nombre de valeurs comprises dans le sport puissent être ramenées à l’entreprise, comme la solidarité, le courage, l’esprit d’équipe. Mais l’équilibre n’est pas facile.
M.R.L. : Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce thème ?
J.-P.L. : La raison qui m’a poussé à écrire cet ouvrage, c’est que je vis avec des managers tous les jours. J’ai une double casquette, je coach des dirigeants d’entreprises et je forme des managers d’entreprise tout au long de l’année. Je me rends compte de la difficulté de manager son équipe avec courage, de dire les choses, de recadrer. Cette expérience de vie que j’ai eue avec l’ensemble des cadres des différentes entreprises m’a poussé à vouloir travailler sur ce thème.
En même temps ce qui m’a intéressé, c’est que c’est aussi une expérience pour soi. Le fait d’écrire ce livre m’a aussi poussé à être un peu plus courageux. On ne peut pas écrire sur ce thème et ne pas l’être soi-même. On est toujours confronté à ses petites lâchetés, qu’on arrive plus ou oins à surmonter. Le fait de l’avoir écrit m’a rendu beaucoup plus courageux et en capacité de me dépasser et de faire le don de moi-même.
C’est donc à la fois un livre pour les autres et pour moi.
M.R.L. : Vous vous êtes rendu compte en l’écrivant que cela fonctionnait !
J.-P.L. : Tout à fait, la pensée précède l’action !
« S’il n’y a pas de cohésion,
on n’aura jamais la meilleure performance. »
M.R.L. : Que peut gagner une entreprise à fonctionner selon les mêmes valeurs qu’une équipe de sportifs ?
J.-P.L. : Il est possible d’avoir les 11 meilleurs joueurs et ne pas avoir le meilleur onze. On a beau avoir les meilleurs individus dans une équipe, s’il n’y a pas de cohésion, s’il y a un groupe et pas une équipe, on n’aura jamais la meilleure performance. Parfois, il vaut mieux avoir des individus qui ont, peut-être, moins de compétences et plus d’aptitudes relationnelles. D’ailleurs le monde du sport nous le prouve. Les équipes qui gagnent les championnats ne sont pas forcément les équipes qui présentent les meilleurs joueurs. Cela veut dire que l’esprit d’équipe prévaut et est bien au-dessus de la technique donc dans l’entreprise c’est un peu ça. Je me rends compte que dans l’entreprise, on manage beaucoup individuellement et très peu collectivement.
M.R.L. : Dans ce contexte de crise, pensez-vous que le courage est la vertu essentielle ? Doit-elle s’associer à d’autres ?
J.-P.L. : Je pense que c’est effectivement la vertu essentielle. Si l’on prend l’étymologie asiatique du mot crise, on obtient : WEIJI, c’est-à-dire, danger et opportunité. Très souvent dans les contextes de crise, les dirigeants ne voient pas l’opportunité, il s ne voient que le danger. Ils en profitent donc pour licencier, pour faire un certain nombre de choses qui ne sont pas très courageuses. Ils utilisent le contexte pour faire le ménage, et ce n’est vraiment pas courageux, c’est un prétexte.
Donc effectivement, dans ce contexte de crise, il faut beaucoup de courage et d’honnêteté aussi, pour être capable de dire que ça ne va pas, gérer la pression. Le manager doit sortir de sa zone de confort pour remettre les choses à plat.
Toute épreuve nous fait sortir de nous-mêmes normalement, pour peu qu’on sache l’utiliser. Or, dans l’entreprise, on n’agit pas ainsi. Au contraire, quand on a peur, qu’on est mal, ce qui est le cas en France, en ce moment, on a tendance à être dans l’immobilisme. On utilise des prétextes peu courageux pour agir. Le fait de profiter du facteur de crise ambiant pour licencier, par exemple, alors que l’entreprise n’a aucune raison de le faire.
« Manager avec courage,
c’est sortir de sa zone de confort. »
M.R.L. : Le seul moyen pour sortir de la crise, c’est donc d’agir avec courage ?
J.-P.L. : Absolument, de toute façon il y a deux destinées quand vous êtes dans l’épreuve.
Soit vous vous repliez sur vous-même et vous vous laissez porter par le courant. Soit vous vous dites que vous allez réagir et sortir de votre zone de confort. Cette zone de confort est déterminée par ce que vous savez faire habituellement et ce que vous faites dans une période de stabilité pour surmonter les obstacles. Agir avec courage, c’est faire le don de soi-même vis-à-vis des autres. Le courage c’est quand vous avez la capacité de sauver quelqu’un alors que ce n’est pas habituel chez vous.
Le courage en entreprise, c’est oser dire les choses, oser faire les choses parce qu’elles sont légitimes, alors qu’on n’a pas l’habitude de les faire.
M.R.L. : Y a-t-il un prix à payer à agir avec courage ?
J.-P.L. : Ah oui, il y a un prix, il y a toujours un prix. Le courage a d’abord le prix que vous vous payez, le prix de la peur parce que oser dire des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre, c’est d’abord surmonter la boule que vous avez au ventre quand vous allez dire les choses. Si vous n’êtes pas dans l’émotion, vous ne passez pas. Donc il y a un prix à payer, celui qu’on se fait payer soit même et celui que les autres nous font payer.
Tous les individus sont en 3D avec une tête, un cœur et un corps. Très souvent, on peut avoir envie de dire « merde » à son supérieur, alors on se fait le scénario dans sa tête, on se voit entrer dans le bureau et lui dire. On imagine, on se conditionne et quand il arrive, on n’a pas le cœur, on a peur. On dit oui, et comme on n’a pas le cœur on n’a pas le corps, parce que c’est le cœur qui donne l’énergie au corps. Donc le courage, c’est avoir cette dimension du cœur. Peut-on dire que Bush a eu du courage en choisissant d’aller faire la guerre en Afghanistan. Non, dans sa tête il a pris la décision, mais qui avait le cœur d’aller affronter les Talibans ? C’étaient ses soldats. Ce monsieur, n’avait aucun courage. C’est facile d’avoir du courage avec le corps des autres.
Avoir du courage, c’est être en équilibre entre la tête qui décide de faire quelque chose, le cœur qui affronte les situations et le corps qui porte tous les comportements qui vont avec. C’est ça la difficulté. Il est facile pour les directions d’entreprises de décider de réorganiser et de faire supporter à l’encadrement tout le cœur, c’est-à-dire toute la peur d’aller annoncer à leurs équipes qu’il va y avoir des restructurations, des réorganisations. C’est tellement facile de donner le bébé et l’eau sale qui va avec.
M.R.L. : Pensez-vous qu’un DRH qui doit licencier 500 salariés en 3 mois pourra mieux s’en sortir grâce au courage ?
J.-P.L. : Ce qui est sûr c’est qu’il lui faudra du courage. D’abord pour faire ça, pour aller affronter les syndicats, pour aller dans tous les services pour porter la bonne parole et dire ce qui est.
Il n’agira pas avec courage si au lieu d’annoncer lui-même le plan de sauvegarde, il va trouver un journaliste pour dire à travers les médias qu’il va y avoir un plan de sauvegarde. C’est ce qu’on appelle la communication médiatisée. Il y a des entreprises qui n’ont pas le courage de dire en interne qu’elles vont restructurer donc elles passent par le canal des médias. Ceux sont eux qui vont l’apprendre aux employés, comme c’est arrivé pour une grande chaîne de magasins de jouets. Les ouvriers de cette chaîne ont appris dans le magasin, à travers la radio, qu’il y avait un plan de sauvegarde, de restructuration dans leur entreprise. Ca, ce n’est pas du courage. Le DRH qui agit avec courage, assume pleinement sa décision, avec sa tête parce qu’elle est claire, avec son cœur parce qu’il va voir les syndicats, les CE qui vont être en colère il ne va pas se débiner, se mettre en maladie, et il va avoir le corps pour le faire, c’est-à-dire que c’est lui-même qui va annoncer la chose.
M.R.L. : En agissant ainsi est-ce que cela passe mieux auprès des équipes ?
J.-P.L. : Oui, que penser d’un DRH qui se débine, d’un manager qui envoie un mail pour écarter un collaborateur, ou qui fait un communiqué de presse ? En Angleterre, une entreprise a annoncé une restructuration en envoyant un sms à ses salariés et un second pour leur dire que les salaires des deux mois à venir ne seraient pas payés. Peut-on parler de courage quand on agit ainsi ?
Pour fonctionner au mieux, le courage doit s’exprimer au quotidien. On est responsable de trois choses.
– de ce qu’on dit et de ce qu’on fait
– ensuite de ce qu’on ne dit pas et qu’on ne fait pas
– puis de ce qu’on laisse dire et de ce qu’on laisse faire.
La plupart des gens se sent responsable uniquement de ce qu’ils disent ou font, tout le reste ils ne veulent pas l’assumer. Pour assumer le reste, il faut avoir les bons comportements et donc aussi du courage.
M.R.L. : Le lecteur pourra-t-il trouver dans votre ouvrage des exemples concrets, des astuces ?
J.-P.L. : Absolument. Cet ouvrage est constitué de trois parties (+1) qui s’adressent principalement aux cadres dirigeants et à toute personne en charge d’une équipe à manager.
– Une partie qui explique ce qu’est le courage et quels sont les bénéfices à être courageux et à ne pas l’être, parce que bien entendu, tout comportement qui paraît négatif a au moins une intention positive pour son auteur. Le courage c’est déjà une prise de conscience, se demander pourquoi je ne suis pas courageux ou pourquoi je le suis ?
– La deuxième partie s’intéresse à ce que je suis et comment je peux développer le courage ? Quelles sont les zones, au regard de la personnalité où je devrais être plus courageux qu’un autre.
– Troisième partie explique comment manager une équipe et développer chez elles ces vertus de courage. Il ne suffit pas qu’un individu soit courageux, faut-il encore que l’équipe, l’entreprise le soit aussi. Aujourd’hui, certaines organisations manquent de courage et gardent en leur sein des éléments qui ne sont pas là où ils devraient être. Ce sont les placards dorés. Elles font payer à d’autres cette absence de courage. Je vois des organisations, où des gens incompétents, qui ne sont pas à leur place, sont conservés car on n’ose pas les mettre dehors. Cette partie explique donc qu’il faut à la fois des dirigeants courageux, aussi une entreprise courageuse, des managers courageux et des individus courageux. On est dans une valeur d’exemplarité.
– En quatrième partie, le lecteur trouvera un auto-coaching. Une série de questions à se poser pour développer des vertus de courage.
Propos recueillis par Anne-Sophie Duguay
Acheter l’ouvrage Manager avec courage, J.-P. lugan et P. Ruquet, Editions Eyrolles
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