En France, traditionnellement, une carrière professionnelle réussie est une carrière ascendante linéaire à temps plein. Un parcours professionnel peut être plus discontinu et plus flexible que cette norme, pour permettre justement une meilleure articulation entre tous ses temps de vie. Mais, de quoi parlons-nous ? Est-ce envisageable ?
Un salarié à chaque étape de sa vie aura envie et/ou besoin d’accélérer ou de ralentir dans sa carrière pour être en phase avec sa vie personnelle (jeune actif ayant un premier poste, salarié ayant de jeunes enfants, salariés ayant des adolescents, salariés ayant des parents ou des proches en perte d’autonomie, salariés ayant des aspirations politiques, sportives ou associatives, etc…)
Un dispositif en place : les parcours choisis
Deloitte, cabinet de conseil international, a mis en œuvre une mesure innovante à ce sujet, c’est le dispositif « parcours choisis » pour reconnaître la diversité des carrières.
Le programme « parcours choisis » a été mis en place pour accompagner l’individualisation des carrières des collaborateurs de façon proactive et structurée, en prenant en compte leurs besoins spécifiques. Cette mesure est proposée à tous les consultants et auditeurs qui possèdent au moins 3 ans d’expérience professionnelle, quel que soit le niveau de responsabilité ou le grade, et offre la possibilité d’agir sur 4 leviers de flexibilité qui sont :
- la prise de responsabilités,
- le temps de travail,
- la fréquence des déplacements,
- la flexibilité des horaires.
Les collaborateurs qui le souhaitent peuvent agir sur un ou plusieurs de ces leviers pour « accélérer » ou « modérer » la progression de leur carrière et individualiser leur évolution professionnelle : s’investir plus, prendre davantage de responsabilités, travailler à temps partiel ou selon des horaires aménagés.
Les hommes représentent 21% de ce dispositif. Concernant la rémunération : il y a des possibilités de réajustement du salaire pour un collaborateur ayant passé 2 ans en « parcours choisi ». 62 auditeurs et consultants ont bénéficié de cette mesure en 2010 parce qu’ils souhaitaient travailler à temps partiel pour se consacrer un peu plus à leur vie de famille ou pour accompagner un parent malade…
Est-ce transposable à d’autres organisations ?
La notion de respiration professionnelle est intéressante et pourrait être transposée dans d’autres organisations.
Pour cela, une réflexion sur 3 thématiques pourrait être engagée dans les entreprises :
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La formation des managers
Il faut évidemment passer d’une évaluation au présentéisme du type « Il est là le soir, il est drôlement impliqué » à une évaluation aux résultats. C’est pour cela qu’il faut leur expliquer l’enjeu économique de l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, et pour ceux qui y sont sensibles, l’enjeu de développement durable. Il faut également former les managers : comment mettre en place le télétravail dans une équipe, avec une période pilote au cours de laquelle on fait le point régulièrement ; quelles sont les règles dans les organisations pour les partages de poste ou job sharing ; comment soutenir ceux qui travaillent de façon flexible lors des comités carrière. Une hotline RH pourrait répondre aux questions des managers, et il est également nécessaire que les processus soient clairs.
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Evaluation des managers sur leur respect de la flexibilité au travail
Pour que la question soit prise au sérieux, il faut l’intégrer à leur évaluation annuelle de performance. Certains managers y sont de toute façon sensibles, mais d’autres comprennent mieux le langage de l’émulation. Si les managers constatent qu’ils sont évalués chaque année sur le respect des personnes et de l’articulation des temps de vie, ces nouveaux comportements rentreront dans les mœurs. Cela s’accompagne évidemment d’une gestion des carrières sans concession pour les managers « toxiques ».
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Accompagner les individus
Puisque la technologie nous permet, où tout le monde est très équipé, de travailler partout et à toute heure, savoir poser des frontières et se faire respecter est devenu une compétence clé. Il s’agit d’être au clair sur l’équilibre de vie que l’on souhaite vivre, de savoir séparer le temps du travail et le temps de la vie, même pour ceux d’entre nous qui aiment « intégrer » les deux domaines. A titre d’exemple, quand Ariane Ollier-Malaterre (professeur associé de management et directrice du centre de recherche Tr@jectoires à Rouen Business School) était manager chez Accenture, à la question classique à laquelle on s’expose quand on part « tôt », disons vers 19h, « tu as une contrainte ? », elle répondait dans un sourire « non, j’ai une vie ». En somme, il faut oser poser des limites.
La flexibilité des carrières est ainsi un levier pertinent à prendre en compte dans toute organisation qui souhaite prendre en compte l’articulation des temps de vie de leurs collaborateurs et ce, pour améliorer la performance de l’organisation et donc agir sur la qualité de vie au travail.
Karen Demaison