Tout à chacun en appelle à davantage de transparence : transparence dans les process, transparence dans les objectifs. Voilà une valeur qui devient une morale ou du moins une demande sociale. La transparence retrouve son acceptation physique, un objet est transparent lorsqu'il laisse passer la lumière, la lumière de la vérité jaillira sur la démarche transparente. La transparence fait action de lutte contre l'obscurantisme, mais doit-on tout montrer ? N'existe-t-il plus des domaines qui sont de l'ordre du privé, privés de la transparence ? Ne faut-il pas avoir une pudeur sociale pour avoir une profondeur ? Autant de questions qui nécessitent d'éclairer le sujet.
Voltaire disait « je suis comme les petits ruisseaux ; ils sont transparents parce qu'ils sont peu profonds ». Cette remarque de Voltaire garde toute son actualité. En effet, Loft story nous a montré, en 2001, que transparence et profondeur n'était pas forcement associés, la télévision (en 2D) n'avait pas atteint la réalité (en 3D) par manque de profondeur. Ce qui fut plus surprenant dans cette relation c'est que, contrairement au projet d'origine, c'est la réalité qui a rejoint la télévision : c'est la 2D qui s'est imposée avec une surexposition du creux, du vide qui a été si bien décrit par Jean Baudrillard. Et l'entreprise est, en ce domaine, en société avec le développement du politiquement correct, que Philippe Muray appelait « l'empire du Bien ». Alors que faire de cette lumière qui n'éclaire plus ?
Que penser de Wikileaks qui se propose de devenir des croisés de la transparence, au nom d'un slogan tant de fois répété, le peuple a le droit de savoir ? Tout doit être transparent, n'est-ce pas là un fondement de la démocratie ? C'est à ce prix que le contrôle peut être efficace, non ? C'est peut-être oublier un peu vite que les Anonymous ont dû avancer masqué pour faire triompher la transparence sur la scientologie. Rien n'est si simple.
Dans un monde d'infobésité, tout savoir revient à ne rien savoir. Trop d'informations tue l'information et la connaissance qui l'accompagne. Il faut les interprétations qui donnent le sens pour que l'information devienne transparente et qu'on puisse voir au-delà. Que devient alors la demande de transparence ? Au mieux, elle s’impose sur les passeurs de sens, comment font-il, qu'est-ce qu'ils choisissent, comment manipulent-t-ils l'information ? Le problème devient alors d'analyser les agences de notation et notre rapport à ces régulateurs. Et de sortir de notre infantilisation croissante « que va dire le gendarme de la bourse » ? Faut-il avoir peur d’être grondé ? Que penser de ces agents de notation après les affaires du type Enron ? Doit-on incriminer ces agences ou notre manque de courage à piloter ? Il est rare de voir un contrôleur de gestion être un bon patron, sauf à sortir de ses compétences de base.
Doit-on tout montrer ? N’existe-t-il pas des choses que l’on doive cacher ? N'est-ce pas la raison d'être de l'intimité ? La transparence est souvent de l'ordre de l'impudeur ou de la pornographie, qui permet de regarder ce qui n'est pas forcement de raison de regarder, et au final cette soif de transparence n'est-elle pas qu'une pornographie sociale ? Une façon de vider les aventures humaines, les entreprises de leur contenu en favorisant l’œil qui juge et qui au final détruit les forces de la création. La transparence n’est-elle pas à opposer à la poétique comme modèle de développement de l'entreprise ?