Demain se prépare aujourd’hui. La formation a pour vocation à détecter les hauts potentiels qui demain seront les dirigeants. Ce lieu commun ne peut que satisfaire tout le monde à une nuance près. Si les hauts potentiels appelés HP sont une catégorie assez clairement identifiée socialement avec des parcours ad hoc, des écoles ou des universités internes, cette notion d’élite nous interroge. A l’instar de ce caricaturiste qui présentait un salarié endimanché se prévaloir du titre ronflant d’HP, il opposait un homme plus new age qui lui répondait faire partie de la catégorie des GN. Après la surprise du premier, l’intrigue est dénouée, il faisait partie de la catégorie des Gros Nazes. Autrement dit comment faire rêver les non HP ? c’est une des raisons pour laquelle l’entreprise a construit toute une politique de développement des potentiels plus généralisés avec les compétences voir aujourd’hui les talents. Il est à peu près évident que nous avons tous du potentiel important et que sa réalisation éventuelle dépend pour beaucoup de ce que l’entreprise attend. Au lieu commun précédent, on pourrait rajouter que le haut potentiel ne se prévoie pas, il se construit… Et cela change tout.
Un haut potentiel que se prévoie supposerait une externalité des potentiels, c'est-à-dire que la famille, l’éducation nationale, le parcours professionnel, pourquoi pas la neurologie voire Dieu ou le carma auraient doté chaque individu d’un potentiel que l’entreprise n’aurait qu’à valoriser. Cette vision mystifie la réalité. Les entreprises ont le potentiel qu’elles méritent. La fabrique des élites est de la responsabilité du collectif. Se posent plusieurs questions : comment recruter un potentiel puisque par définition il n’existe pas ?
Il existe moult tests plus ou moins psychologiques mais les faits sont têtus, une embauche se fait toujours sur une potentialité. Tout le travail de l’entreprise est de transformer cette potentialité en réalité. Et dans le terme « transformer » il y a bien la dimension « former ».
Comment former à cette transformation ? D’abord, tout dépend de la stratégie de l’entreprise. Une entreprise qui s’internationaliserait aurait besoin de connaissances linguistiques et aujourd’hui quelles que soient les techniques on sait qu’il faut 2000 heures pour apprendre une langue. Hormis cette réalité qui peut s’apparenter à une pirouette rhétorique, le haut potentiel nécessite des compétences nouvelles face à un environnement qui est de moins en moins visible dans un univers d’instantanéité qui remet l’affect au cœur du collectif.
L’élite doit être un référent dans un monde tourmenté. Cela conduit à deux domaines importants : travailler ce que Sénèque appelait sa tranquillité interne, savoir construire un chemin dans le bruit et la fureur; et, savoir communiquer une dynamique afin que le collectif se mette en marche, étymologiquement « être leader ». autrement dit rien de bien nouveau puisqu’Aristote déjà nous parlait de ces qualités de cœur.
Ce qui est nouveau c’est que le cœur redevient essentiel à la raison et que finalement on demande à un haut potentiel de cesser de devenir un homme handicapé, c'est-à-dire un homme rationnel exclusivement, privé de tout ce qui fait son humanité pour devenir un homme complet qui associe cœur et raison.
Emmanuel Lévinas nous l’affirme : c’est dans cette dimension qu’apparaît l’étique. Jamais un potentiel social n’a été aussi ambitieux, permettre à nos dirigeants de demain d’être des hommes épanouis, des poètes de la performance. Voilà un beau projet d’entreprise, même si parfois le cœur a ses raisons que la raison refuse d’ignorer.
Stéphane DIEBOLD