Alors que je terminais mon dernier article par la réflexion suivante : Du chaos ou de la prise de conscience que la véritable richesse de notre société et de nos entreprises, c’est l’homme .. un zoom du marché de la formation et de ses dérives semble nécessaire pour mieux comprendre que cette réflexion ne peut être qu’utopique face aux enjeux financiers que représente le marché de la formation.
En effet, avec près de 3 millions d’entreprises et 24 milliards de dépenses en formation chaque année, le marché de la formation en France est très convoité, d’autant que la collecte des sommes par les OPCA entre les années 2000 et 2005, augmentait à un rythme presque trois fois et demi supérieur au rythme d’augmentation du PIB, soit de 12,3% en moyenne par an (*1).
Alléchés par l’importance et la croissance du marché, les organismes de formations se bousculent. L’offre pléthorique de formation a transformé le marché en un véritable casse-tête pour les DRH comme pour les salariés. Néanmoins, nous pouvions observer en 2008 que, depuis 2002, la croissance du nombre d’organismes avait fortement diminué. Alors qu’entre 1994 et 2001 les organismes croissaient à hauteur de 7,5%, entre 2002 et 2003 ils ne croissaient plus que de 1,1%. En 2002, nous comptions ainsi 48600 organismes contre 45777 en 2005, cette forte chute de la croissance étant certainement due au renforcement du contrôle de l’exercice d’actions de formations.
Pour exemple, l’année 2003 : sur 11291 demandes d’enregistrement vérifiées, 844 furent refusées. En 2002, nous pouvions constater que plus de la moitié des organismes dont l’activité principale était la formation professionnelle ne déclaraient que 75000 euros de chiffre d’affaires annuel et en 2005, parmi les quelques 45777 organismes, seuls 13474 d’entre eux avaient pour activité principale la formation professionnelle. Par ailleurs, près d’un tiers étaient des entreprises individuelles ne réalisant que 4% du chiffre d’affaires total du marché, les petits organismes formant en moyenne chaque année près de 20% des stagiaires et réalisant près de 8% du chiffre d’affaire total du marché. A contrario, seuls 2% des organismes de formation déclaraient un chiffre d’affaires supérieur à 3 millions d’euros. De la même manière que les « petits organismes », ces « gros organismes » formaient également 20% des stagiaires, mais cette fois pour près de 31% du chiffre d’affaire total du marché (*2).
Cette si grande disparité entre les résultats était due en partie à la durée des formations, les petits organismes se voyant principalement confier des missions occasionnelles et de courtes durées alors que les gros organismes se voyaient confier des missions ponctuelles de plus longues durées. Elle tenait également au fait que les grandes entreprises, qui avaient donc les budgets les plus importants, s’adressaient en règle générale aux gros organismes de formation. Il faut noter au passage que, dans les entreprises de plus de 10 salariés, le budget par salarié hier comme aujourd’hui est 10 fois supérieur à celui d’une entreprise de moins de 10 salariés…
La plupart des spécialistes sont de tous temps d’accord pour dire que le budget de la formation professionnelle est mal exploité, ne bénéficie qu’aux initiés et devrait subir de sérieuses réformes. La sonnette d’alarme est tirée par Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un rapport alarmant qui paraît en juillet 2006, puis c’est l’hebdomadaire « Le Point » du 19 Juin 2008 qui enfonce le clou en dévoilant un certain nombre de dérives et remet en question à tous les niveaux la gestion des budgets de la formation professionnelle.
Alors même que la formation professionnelle devrait profiter à tous et garantir à chacun un accès égal à la formation, nous nous rendons compte qu’un certain nombre de dérives ont déjà lieu et que beaucoup profitent d’un système mal coordonné et peu transparent.
L’escroquerie est plus que jamais présente et cela à tous les niveaux afin d’essayer de récupérer une partie du marché. Les dérives sont de tous types (* 3) :
Il existe des formations fictives, proposées par des prestataires fictifs dans le but de récupérer des reçus libératoires permettant d’imputer fiscalement les dépenses à l’obligation de formation, et cela, alors même que les OPCA sont censés vérifier la réalité des formations effectuées.Lors de la sortie de l’hebdomadaire « Le Point » du 19 juin 2008, l’Opcalia IDF était en cours de jugement pour « escroquerie en bande organisée » et « Abus de biens sociaux » pour un montant de 11 millions d’euros, concernant des faits datant de 2000-2001. L’Agefos, le plus important des OPCA, s’est vu pour sa part reprocher de n’exercer aucun contrôle sur la réalité des formations financées. Pour la CCFP, OPCA entre les mains de la CGT, un retrait d’agrément fut même demandé car les commissaires avaient refusé de certifier les comptes…
Par delà ces cas précis, les manquements les plus fréquents révélés par les experts de la DGEFP sont les dépassements de frais par les dirigeants des OPCA, l’absence de directives, d’orientations et l’insuffisance des contrôles opérés sur les formations dispensées.
Il serait facile de jeter la pierre sur les OPCA, mais les dérives ne se situent pas à leur seul niveau (*4). Il suffit en effet d’évoquer la surfacturation de leurs dépenses par certains centres de formation, l’alourdissement des heures de formation, les salles louées surfacturées, les formateurs fantômes, l’alimentation des caisses noires des syndicats ou encore, selon Jean – Michel Roulet de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), le fait que 10% des dépenses reviendraient aux sectes, passées, en quelques années, de 80 à 200.
Qu’en est-il de l’intérêt réel des dernières modifications de la formation professionnelle tout au long de la vie, si elles viennent créer une strate supplémentaire à un système en pleine dérive qui en oublie l’un de ses principaux objectifs, d’autant plus fondamental en cette période de « récession » : permettre à tous le maintien dans l’emploi ?
Cédric Pennarun.
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*1,*2 et *3 Source : Le Point, 19/06/2008 N° 1866, Formation professionnelle – L’affaire : Un scandale de 24 milliards d’euros, Jacques Marseille, p86.
*4 Source : « L’argent noir des syndicats », Roger Lenglet, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont, Fayard, 2008.