Le législateur qui aime à se mêler de tout vient de délivrer une nouvelle curiosité. La possibilité d’offrir ses RTT à un collègue parent d’un enfant malade. Gadget forcément franco français puisqu’il suppose au préalable les 35 heures et leurs RTT que bien entendu le monde entier nous envie. Belle idée empreinte de compassion à laquelle chacun ne peut que souscrire. Sollicitude inattendue néanmoins de la part d’élus de la République qu’on imaginerait en ces temps de crise préoccupés de sujets plus globaux. C’est bien un mal français que de légiférer sur tout et autre chose.
Le cas réel à l’origine de cette trouvaille est dramatique. Une famille frappée au cœur avec un enfant atteint d’une maladie incurable et promis à une mort certaine. Un père qui décide d’arrêter de travailler pour se consacrer aux derniers jours de son enfant. On reste pétrifié devant l’horreur de la situation. Chacun comprend et admire la décision du père. On voudrait exprimer sa solidarité devant l’indicible.
La Caisse de Sécurité Sociale ne semblait pas partager cette émotion. Le médecin donne au père un arrêt de travail pour rester au chevet de l’enfant. Mesure sage et humaine et l’affaire aurait dû en rester là. Pas du tout, la Sécurité Sociale a refusé de prendre en charge un arrêt pour ce motif et a renvoyé le père désespéré au travail. Dans quel pays sommes-nous qui permet tant d’indifférence bureaucratique ? N’y avait il pas de moyen de trouver une solution autre que renvoyer de pauvres gens à la froide application des textes ?
Ce service Public s’en serait grandi. Il n’a pas choisi de le faire.
Il a fallu que dans la vraie vie les vrais gens se mobilisent et s’organisent. Collègues et amis ont imaginé de donner de leur temps. Ce sont leurs congés ou RTT qu’ils ont offerts. L’employeur a prêté la main. Et le pauvre père a pu partir les six mois dont il avait besoin pour accompagner son enfant jusqu’au bout. Qu’il soit rendu hommage à tous ces honnêtes gens qui contribuent à redonner confiance dans la nature humaine. Le cas n’est d’ailleurs pas isolé. Il a déjà eu lieu dans plusieurs entreprises, isolément, à l’initiative de l’employeur ou par accord d’entreprise, sans intervention extérieure.
C’est ce bel exemple de solidarité qu’un élu a imaginé d’étendre à une proposition de loi qui en inscrirait la possibilité dans le Code du Travail. Sans aller jusqu’à le suspecter de surfer sur la vague compassionnelle en période électorale, on peut le taxer d’une certaine précipitation.
Il est quand même étonnant qu’on n’ait pas commencé par se poser la question du rôle de l’employeur en la matière. Il a accepté le transfert des congés. Belle affaire qui ne lui coûte rien. Il a plutôt refusé de prendre en charge cette absence de son salarié. La mesure immédiate d’humanisme aurait été de lui accorder une autorisation d’absence. C’est ce que font la plupart des entreprises sans avoir besoin d’un texte de loi pour autant. Il est curieux que le peu d’humanité de ce patron n’ait pas été pointé du doigt. Mieux le projet de texte propose de lui donner le pouvoir d’organiser ce don et le droit de le refuser. C’est acter qu’il peut s’en laver les mains.
Faut-il une loi pour organiser ce don ? On a pourtant assez dénoncé depuis les trente cinq heures la fâcheuse prétention des pouvoirs publics à organiser le champ social à la place des partenaires sociaux. Fallait-il récidiver sur un sujet aussi spécifique ? Sans d’ailleurs avoir demandé quoi que ce soit aux partenaires sociaux. Est il nécessaire dans ce pays que le législateur se mêle de tout et aille jusqu’à préciser comment un employé peut donner quelques heures de ses congés à un collègue ? Difficile de croire qu’une telle mesure marchera mieux parce qu’elle aura engraissé le Code du travail d’un énième article. Le fait est que le juridisme est une calamité nationale.
A vouloir à tout prix s’en mêler on pouvait faire plus simple et plus en phase avec le dialogue social. La pratique de ce don pouvait facilement être encouragée. Il suffisait de communiquer, d’inciter, d’ouvrir la voie. On peut aisément imaginer que des mesures de cette nature auraient pu trouver place dans la négociation d’entreprise. Des accords les auraient mis en œuvre comme une avancée sociale voulue par les partenaires sociaux. Des Branches pouvaient s’en emparer. D’ailleurs certaines conventions collectives le stipulent déjà sous diverses modalités. Certaines entreprises auraient pu ouvrir la voie. Il ne manque pas de thèmes d’un intérêt social évident qui avancent de cette façon sans passer par une sanction législative : parentalité, alternance ou développement durable.
Une fois la boite de Pandore ouverte quelle usine à gaz bureaucratique va t’on encore édifier ? Le projet prescrit l’anonymat. Un salarié donne ses heures mais le bénéficiaire ne doit pas le savoir ! Ni le donateur savoir à qui ! Les dons restent anonymes sauf d’ailleurs pour l’employeur ce qui n’est pas le moindre paradoxe. C’est méconnaître l’intention même des donateurs. Aider un collègue n’est pas un acte comptable où une main anonyme décompte des heures. C’est un geste fort de solidarité où le contact humain compte au moins autant que le don formel. Croit-on que dans le cas d’origine le malheureux père n’a pas autant été porté par l’amitié de son entourage que par le cumul d’heures dont il avait besoin. C’est une catharsis pas un crédit d’heures. Au lieu de l’anonymat c’est la chaîne humaine qu’il fallait valoriser.
Il faudra des process pour inciter les salariés à donner sans savoir à qui et recueillir leurs dons. Des organisations pour recevoir les demandes et les contrôler –qui contrôlera la légitimité médicale de la demande ?-. Des méthodes pour inciter les salariés à donner à l’aveugle, recevoir leurs dons et les gérer. Quelqu’un se retrouvera investi du pouvoir de décider de l’attribution des fonds recueillis. Ce qui devait être simple devient opaque et administratif. Sans nul doute on créera des Fonds pour les petites entreprises, on mutualisera les petits donateurs, on recensera les bénéficiaires isolés. Gageons qu’un organisme paritaire ou une Autorité nationale ne tarderont pas à voir le jour. Peut être un Responsable Interministériel ?
Où est la légitimité ? Certainement pas dans la compassion aussi compréhensible soit elle. Au fond vouloir satisfaire un accès d’émotion de l’opinion publique c’est vouloir lui plaire. Effectivement trop souvent on traite les sujets sociaux dans un souci de posture et d’effet d’annonce. Dans cet ordre d’idée on aurait ainsi pu agrémenter le don de RTT de rapport annuel, de consultation des institutions, de négociations obligatoires voire de sanctions pécuniaires. On l’a déjà vu sur des sujets ni plus ni moins légitimes. Elles n’ont ni mieux ni moins bien avancé mais le législateur a montré à peu de frais sa détermination.
Cette loi n’était pas nécessaire. Elle remplit un objectif qui était déjà atteint. Elle le complique plutôt que le simplifier. Il reste à espérer si elle est votée qu’elle ne devra pas discrètement être abrogée comme celle de 2008 prévoyant le don de RTT à des salariés investis dans une association. Elle avait donné lieu à de telles dérives qu’on a presque pu parler d’un commerce de RTT auquel il a été mis fin en 2010.
Philippe Canonne