Le débat à la « une » de l’actualité sur l’allongement de la durée du travail tend à démontrer, une fois encore, que la véritable richesse de l’entreprise et du bon fonctionnement de notre société est le capital humain. Pour autant le travail de demain ne saurait être le même que par le passé, nous devons accepter que les choses changent et ainsi composer avec les inéluctables évolutions des organisations.
Tout au long de cette dernière décennie, les entreprises se sont en effet engagées dans un colossal travail de modernisation et une course folle au rendement, créant ainsi des politiques économiques qui, dans un même mouvement, transforment les travailleurs en une nouvelle classe d’ouvriers dont les emplois sont précaires et sous-payés, et génèrent une forme de prolétarisation des cadres.
A l’heure où les hommes et les femmes pensaient avoir enfin échappé à la fatalité d’un destin professionnel jusqu’à peu écrit ou presque à la naissance – quand les métiers, encore, étaient transmis de générations en générations, à l’heure où ils pensaient être libres de choisir leur vie et de construire leur parcours professionnel, ceux-ci se retrouvent pris dans les rets de la grande pieuvre capitaliste, réduits à n’être que des pions.
Les organisations pour lesquelles travaille une grande partie des actifs se révèlent de fait être des organisations complexes et déshumanisantes, qui exigent de leurs salariés un total investissement mais ne répondent que rarement, en contrepartie, à leurs besoins. D’où, ces dernières années, une perte de sens grandissante de la valeur travail, dont les premiers symptômes vont de la désimplication, de la démotivation, du désengagement dans le travail jusqu’au suicide parfois.
Les multinationales règnent en maître sur presque tous les secteurs d’activité, de plus en plus d’entreprises familiales sont absorbées et transformées en filiales de ces dernières, ces transformations entraînant généralement une modification du fonctionnement des entreprises qui passent d’un management technique à un management économique.
On exige des salariés une flexibilité permanente, une disponibilité sans réserve. Ce système d’un « toujours plus avec toujours moins » aboutit chez une partie de ces derniers à la perte de leurs repères et transforme ce qui était au départ une aventure collective en un véritable cauchemar. Les entreprises repoussent ainsi les limites, instrumentalisent les salariés et déshumanisent cette activité proprement humaine qu’est le travail.
En dehors des cas de figure où leurs engagements s’avèrent payant en terme d’estime de soi et de construction identitaire, les salariés se désengagent de leur emploi en le quittant ou en le vivant « de l’intérieur ». Selon Juliette Ghuilamila, chercheuse au Lab’ho (Observatoire des hommes et des organisations du groupe Adecco), certains de ces désengagés vivent la situation plutôt bien. Ils en profitent pour faire autre chose « en dehors ». Leur vraie vie est ailleurs. Au fil du temps, nombre d’entre eux se retrouvent pourtant aigris et malheureux, en déficit de sens.
Que ces désengagés de l’intérieur soient heureux ou aigris, cela ne peut à terme, être sans effet sur la performance et le dynamisme des organisations. Certes, les grandes entreprises sont toujours là, certes elles tournent encore, mais l’on ne peut s’empêcher de s’interroger devant l’ampleur de la désaffection. Plus personne ou presque n’y croit, plus personne ou presque n’est dupe.
La motivation des salariés passe aujourd’hui par un juste rapport entre une vie professionnelle productrice de sens et leur vie privée. C’est à cette condition que les sources d’implications, de type affectif, peuvent s’enraciner dans la qualité du cadre professionnel, les relations amicales avec les collègues et les supérieurs ainsi que dans une certaine proximité avec les dirigeants.
Selon Maurice Thévenet (Professeur au CNAM et à l’ESSEC), c’est en l’occurrence le management de proximité qui serait le mieux à même d’assurer les conditions nécessaires de l’implication, souvent davantage que la direction des ressources humaines elle-même. Selon lui, la meilleure illustration en est le verbatim des personnes racontant un moment de leur carrière professionnelle où elles étaient très impliquées : la qualité des relations, avec le management en particulier, en est de fait l’un des traits saillants.
Au regard de ces constats, certaines entreprises souhaitent, depuis quelques années, rétablir de la proximité avec leurs salariés, sans pour autant négliger les risques liés à une mauvaise conjoncture et à leur difficulté croissante de gérer la convergence des besoins d’un trop grand nombre d’individus avec ceux de l’entreprise. Elles y parviennent entre autre en externalisant une partie de leur activité.
Malheureusement, encore trop peu d’entreprises passent par cette réflexion du fait d’une assimilation trop ancrée entre externalisation et délocalisation, entre externalisation et perte de savoir. Cette crainte prive nombre de sociétés d’une solution leur permettant, non seulement de faire face à une concurrence effrénée, mais d’offrir à leurs salariés la possibilité de se reconcentrer sur leur cœur de métier en supprimant les tâches à faible valeur ajoutée pour l’entreprise comme pour le salarié.
Ainsi l’externalisation doit-elle avoir pour vocation profonde, au delà de l’optimisation des tâches et de la réduction des coûts, de redonner du sens à chaque métier, de rétablir un climat social cordial, de participer, en somme, à la ré-humanisation la vie en entreprise. Pour que cette vocation, ambitieuse, parvienne à s’accomplir, une véritable collaboration, fondée sur la communication et en confiance, est nécessaire entre les deux entités. Souhaitons que la crise traversée par nos sociétés ouvre à une nouvelle ère de responsabilité.
Cédric Pennarun.