Il existe ni plus ni moins quatre façons de contourner peu ou prou la réglementation relative à la BDU/BDES et surtout l’esprit de la loi du 14.06.2013 sur la sécurisation de l’emploi par les DRH ou les DAF.
- Solution purement documentaire
La première façon, qui semble (pour le moment) la solution plébiscitée par les directions, consiste à exporter simplement les rapports & bilans (sociaux, financiers…) dans un outil documentaire intégré au SI de l’entreprise (solution GED ou serveur de fichiers type Sharepoint / Office 365…).
Or il n’est pas nécessaire d’être informaticien pour comprendre qu’une telle solution (de facilité…) ne constitue pas une « base de données » au sens strict du terme.
De plus, les partenaires sociaux n’ont évidemment pas pensé la BDU comme un simple catalogue des documents remis périodiquement aux IRP : ceux-ci doivent être ajoutés en plus dans la BDU (d’ici le 31.12.2016)… et non pas en substitution de la BDU (Art. R. 2323-1-9) !
Dans de telles conditions, les indicateurs sont difficilement accessibles, peu exploitables et seront (selon toute vraisemblance) insuffisamment mis à jour. Sans compter que certains ne figurent pas dans ces documents.
Le Décret du 27.12.2013 et la Circulaire du 18.03.2014 sont trés clairs à ce sujet :
- « La constitution de la base de données vise notamment à présenter de manière plus intelligible, simple et dynamique les informations transmises de manière récurrente au CE ».
- « La mise en place de la base de données consiste notamment à repenser la manière dont les informations qui sont aujourd’hui communiquées au CE sont présentées et agencées ».
- « Leur présentation dans différents rapports et supports conduit souvent les élus à disposer d’une information très formelle et segmentée dont le caractère séquencé dans le temps ne facilite pas l’obtention d’une vision d’ensemble ».
- « Toutes ces informations (…) sont réparties entre les différentes rubriques de la base de données (…) de la façon qui soit la plus pertinente possible pour faciliter leur exploitation et leur appropriation par les élus ».
- « L’ensemble des informations de la base de données contribue à donner une vision claire et globale de la formation et de la répartition de la valeur ajoutée de l’entreprise ».
- Données brutes
La deuxième façon consiste à fournir une solution conforme sur le plan de la présentation des données mais sans éléments d’analyse ou d’explication.
Or, l’art. R. 2323-1-9 précise bien que « l’employeur met à disposition des membres du comité d’entreprise les éléments d’analyse ou d’explication lorsqu’ils sont prévus par le présent code ».
Si bien qu’une BDU constituée seulement de données brutes sans aucun indicateur commenté est là encore une BDU… non conforme !
- La version papier
La troisième façon est la version papier.
Certes, l’article R. 2323-1-7, instauré par le Décret du 27.12.2013, prévoit que « la base de données est tenue à la disposition des personnes mentionnées au dernier alinéa de l’article L.2323-7-2 par support informatique ou papier ».
Mais attention : la possibilité d’un support papier a été rajoutée dans le Décret par nos technocrates du Ministère du Travail (pour qui la modernisation numérique des entreprises n’est visiblement pas une priorité…), il n’est absolument pas mentionné dans la loi du 14.06.2013 et encore moins dans l’ANI du 11.01.2013 (pour en avoir discuté avec l’un des principaux signataire de l’accord, je peux affirmer que les partenaires sociaux n’avaient absolument pas prévu cette éventualité et que la BDU était bien pensée dès le début comme une base de données informatique…).
Là encore pas besoin d’être informaticien pour comprendre qu’un document papier, type feuillet excel, ne saurait être considéré légalement comme une « base de données », et ce d’autant plus que la BDU doit être « régulièrement mise à jour » et « accessible en permanence » aux utilisateurs concernés…
Fort heureusement, cette solution est très peu utilisée dans les ETI et Grandes Entreprises, mais qu’en sera-t-il des PME de 50 à 300 salariés d’ici l’été prochain… ?
- Absence de négociation
La quatrième façon concerne l’architecture de la BDU.
La fonction première de la BDU est, rappelons-le, le support de préparation de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise.
Mais combien d’entreprises, soucieuses d’un dialogue social de qualité, ont élaboré rigoureusement la BDU dans cet objectif, à savoir une compilation & présentation intelligentes des principaux indicateurs socio-économiques, en étroite concertation avec les représentants du personnel ?
L’exemple d’Areva a été donné dans la presse, mais il n’est pas certain qu’il y en ait beaucoup d’autres…
- Et donc ?
Face aux « choix extrêmes » qui précèdent, une solution conforme de BDU est donc naturellement une solution mixte de type base de données présentée sous forme de tableaux chronologiques affichant des données chiffrées et commentées (cf. par exemple ce modèle de BDU fourni par la CFDT) AVEC gestion documentaire pour l’inclusion des rapports & bilans.
Seule une telle présentation peut donner une vision d’ensemble (évolutive et comparative pour chaque indicateur) et faciliter l’exploitation des données par les représentants du personnel (exports xls, calculs statistiques, graphiques…).
La responsabilité historique de l’Etat
Le Gouvernement a une assez lourde responsabilité dans ce qu’on peut d’ores et déjà qualifier de « fiasco » de la mise en oeuvre de la BDU dans de nombreuses entreprises.
En effet, les textes règlementaires permettant son application ont été publiés avec un important retard : 27.12.2013 pour un décret prévu initialement au mois d’octobre 2013, et une circulaire publiée… seulement 3 mois avant la 1ere date d’échéance (qui était, rappelons-le, le 14 juin 2014 pour les entreprises de plus de 300 salariés).
De plus, certains passages manquent de précision et font parfois l’objet de débats (ex. périmètres d’implantation et d’accès aux données dans certains cas, articulation avec la consultation sur les orientations stratégiques…).
Des éditeurs de logiciel qui font grise mine…
Ayant eu l’occasion de discuter avec plusieurs fournisseurs de solutions logicielles BDU, je peux témoigner que le marché a paradoxalement le plus grand mal à décoller malgré son importance… potentielle.
Un chiffre parlant : l’un des plus anciens fournisseurs présents sur le marché n’a pas dépassé… une douzaine de ventes en l’espace de 10 mois !
La raison principale de cet échec tient au point N°1 mentionné précédemment, mais aussi au fait que certaines entreprises ont développé en interne des solutions sur mesure (souvent par crainte du modèle SaaS qui est le plus répandu dans l’offre actuelle du marché…).
Il semblerait aussi qu’un certain nombre de CE « passifs » ne soient pas toujours demandeurs en la matière…
Pourtant il existe sur le marché des solutions bien conformes et généralement peu onéreuses (citons par exemple celles de SSCI KALLISTE (BDU-ENTREPRISES©), ALCUIN, CROSSTALENT, BLUEKANGO… liste non exhaustive).
Il est temps de réagir !
Une nouvelle impulsion est d’ores et déjà nécessaire aux plus hauts niveaux (partenaires sociaux, Min. du Travail…) pour que la BDU reparte… sur de nouvelles bases, il n’est évidemment pas trop tard !
Dans nos entreprises, les représentants du personnel doivent se sentir davantage concernés par la BDU, puis exiger de leur direction des BDU conformes à la règlementation et à la vision des partenaires sociaux (sous peine de poursuites pour délit d’entrave…).
Rappelons aussi qu’il est possible de signer des accords de Branche (il n’en existe encore aucun), c’est d’ailleurs la proposition que nous ferons prochainement aux partenaires sociaux de notre Branche des Bureaux d’études techniques (dite Branche Syntec-Cinov).
Dans l’immédiat, il est tout à fait regrettable que ce point ne fasse pas l’objet d’une discussion approfondie dans le cadre des négociations actuelles sur la modernisation du dialogue social, dans la mesure où nous avons désormais (théoriquement…) déjà six mois de recul.
Cette déconvenue montre une fois de plus que nous sommes encore loin d’un dialogue social de qualité en France (tout au moins dans nos entreprises et souvent dans nos Branches) et que la seule loi que nos directions acceptent très volontiers dans le domaine social est toujours… la loi du moindre effort !