Bienvenue dans le 6e épisode de la saison 1 de T’as raté le coche, intitulé : “Quand les DRH préparent l’avenir”.
Dans cet épisode, nous abordons un sujet essentiel et contemporain : l’adaptation et l’évolution des Directions des Ressources Humaines face aux défis futurs. Quels sont les enjeux majeurs pour les DRH aujourd’hui et comment se préparent-ils pour l’avenir ?
Pour explorer ces questions, nous accueillons Jérôme Friteau, DRH de l’Assurance Retraite Caisse Nationale pour discuter des initiatives innovantes et des stratégies adoptées dans le secteur public. Rejoignez-nous dans cette discussion instructive qui met en lumière les défis et les opportunités pour les DRH dans un monde du travail en constante évolution.
S01 E06 : Quand les DRH préparent l’avenir
Christophe : Bonjour, je suis Christophe PATTE, le fondateur du média myRHline.com dédié aux professionnels des ressources humaines. Bienvenue dans T’as raté le coche, le podcast qui décrypte les tendances et l’actualité du monde du travail. Dans cet épisode, on va s’intéresser aux enjeux et ambitions des directions. Des ressources humaines tout d’abord, au secteur public. Et pour ce faire, j’ai invité Jérôme Friteau, directeur des relations humaines et de la transformation de la CNAV. Venez, on va le rencontrer. Bonjour Jérôme. Eh bien je suis enchanté de te recevoir pour ce podcast où tu vas nous expliquer tes ambitions et les grands enjeux de la fonction RH, côté service public. Je te laisse te présenter pour démarrer.
Jérôme : Oui, donc je suis directeur des relations humaines et de la transformation pour l’Assurance retraite, avec la petite spécificité d’être DRH opérationnel pour un gros établissement de 3 600 salariés, donc plus connu sous le nom de la CNAV et DRH Group de l’Assurance retraite. J’ai le plaisir d’animer un réseau de DRH, nos entités régionales, les CARSAT.
Christophe : Qui représentent un petit nombre de collaborateurs et collaboratrices.
Jérôme : Eh oui, 14 000 sur la France.
Christophe : Alors on a déjà discuté ensemble de divers sujets, notamment de la mutation du travail et donc de la mutation des organisations. Tu as été un des précurseurs, un des premiers testeurs, on va dire, du télétravail, la semaine de quatre jours, où est-ce que vous en êtes aujourd’hui à la CNAV par rapport à ça ?
Jérôme : Alors c’est deux sujets d’actualité prégnante en ce moment. On est en train de proposer à la signature un accord de prolongation d’une expérimentation semaine de quatre jours qu’on a testé depuis le mois de février dernier, février 2023. Déjà depuis neuf mois, on laisse un peu de temps pour envisager un périmètre éventuellement plus large puisque là, on l’a testé sur un un volume de métiers bien déterminé avec les collaborateurs qui avaient la plus forte adhésion au dispositif, leur manager qui avait également une forte adhésion. Là, maintenant, on va se laisser un peu le temps pour examiner un peu les constats puisqu’on a associé des chercheurs en neurosciences, etc. Et on va voir sur le télétravail, on est également en train de renégocier un accord, toujours dans une logique d’équilibre. Là, on est parti il y a longtemps, en 2014 sur le télétravail, on a toujours eu en tête d’avoir un dispositif équilibré, raisonné. Je vois qu’aujourd’hui il y a quand même du rééquilibrage en France, voire même un mouvement de recul qui s’amorce.
Christophe : Exactement.
Jérôme : Nous, on n’est pas sur un mouvement de recul parce qu’on est partis prudents et on continue à être prudents. Et on est monté en maturité avec un dispositif qui est très personnalisé, avec des exceptions qui nous permettent finalement d’intégrer des éléments de politique RH, soit pour les aidants salariés, pour les seniors plus de 60 ans, pour les enfants, parents d’enfants de moins de trois ans. Donc voilà des zoom qu’on essaye de faire souvent à durée déterminée, à l’exception peut être du handicap ou des choses comme ça. Et on va continuer à valoriser ce modèle avec sans doute en y intégrant un peu de ce qu’on a beaucoup ajouté en télétravail exceptionnel, avec les perturbations dans les transports en commun, etc. On va essayer de l’intégrer, de responsabiliser les les managers, les collaborateurs aussi. Et donc sur une formule annuelle, là, on est en train de rediscuter avec les partenaires sociaux de ce dispositif, en y intégrant en télétravail particulier et orienté. Car, pour les femmes enceintes, par exemple, la semaine de quatre jours, c’est très en lien finalement, puisque c’est un dispositif presque concurrent du télétravail, même s’il peut être complémentaire dans certains cas, tout comme une expérimentation en cours sur le forfait jour.
Christophe : En sachant que les enjeux, qu’on soit bien clair, c’est que tu as des populations qui peuvent télétravailler mais qui potentiellement ne pourraient pas être en semaine de quatre jours et inversement. D’où les multiples dispositifs pour finalement essayer d’avoir un équilibre pour l’ensemble des populations.
Jérôme : Exactement. L’idée, c’est d’éviter de creuser les écarts, alors tout particulièrement entre cols bleus, cols blancs. Essayer d’éviter que les métiers faiblement télétravaillables soient un peu en dehors du scope et donc la semaine de quatre jours elle était priorisée sur ces métiers-là. Donc on essaye de limiter les écarts, de proposer des formules personnalisées à toutes les catégories de salariés. On y inclut les managers, on y inclut l’IT, on y inclut les métiers faiblement télétravaillables pour avoir un équilibre d’ensemble, c’est pas simple à gérer en gestion, notamment en gestion RH.
Christophe : Il faut un sacré logiciel de gestion des temps.
Jérôme : Euh oui, sacré logiciel de gestion des temps et sacrée équipe aussi, qui s’occupe de la formalisation de la sécurisation juridique. Donc ça c’est quand même extrêmement déterminant. On y arrive, on y arrive parce qu’on y va crescendo. On essaye même plutôt, là, dans la nouvelle négociation, de simplifier les dispositifs existants puisqu’on avait du deux jours en pendularité fixe, deux jours en pendularité variable, trois jours par exception, 85 jours par an sur enveloppe annuelle. Là, on essaye plutôt de converger vers une seule, une seule formule et une dérogation qu’on maintiendrait, mais dans une logique où finalement on joue la complémentarité entre flexibilité horaires, forfait jours, télétravail, semaine de quatre jours sans avoir l’ambition d’avoir un systématisme et un cadre unique qui s’appliquerait à 140 métiers. En sachant que chez nous, les métiers sont fondamentalement différents.
Christophe : Les managers ont un pouvoir par rapport à ça, par rapport à ces dispositifs. C’est eux, finalement, qui tranchent ?
Jérôme : Alors sur l’accès maintenant, c’est peut être ce qui diffère du dispositif qu’on avait avant la crise sanitaire, c’est qu’on est sur une confiance « a priori », c’est-à-dire qu’autrefois on évaluait l’autonomie et les managers étaient responsabilisés sur l’évaluation de l’autonomie des collaborateurs avant l’accès au télétravail, qui se faisait souvent déjà au bout d’un an ou deux dans l’entreprise. Maintenant, on est plutôt sur la confiance a priori et de la réversibilité à l’initiative soit du salarié bien sûr, soit du manager.
Christophe : La réversibilité du salarié, tu en as constaté ?
Jérôme : Honnêtement, très peu. Parce que dans une région comme l’Île-de-France en particulier, on voit bien que ça fait partie de l’équilibre de vie qui est souvent compliqué à gérer. Et donc on a quand même très peu de salariés qui disent de leur propre initiative : moi, je veux arrêter.
Christophe : Oui. Alors, l’axe suivant dont on va parler, c’est la QVCT, parce que vous êtes en train de retravailler, un accord là, actuellement. Mais en fait, c’est presque dans la continuité des sujets d’organisation du temps de travail. On est sur l’équilibre des temps de vie. Donc logiquement l’accord QVCT va trouver sa place et quels axes vont être travaillés dans cet accord ?
Jérôme : Alors évidemment, on va parler de mutation du travail et essayer d’ancrer les mutations du travail dans les pratiques de la CNAV, que ce soit en matière effectivement, de flexibilité, ce qu’on a évoqué à l’instant, ou que ce soit en matière de maturité, d’accompagnement managérial, parce que, finalement, derrière ces sujets-là se cachent et se nichent beaucoup de problématiques du quotidien. Je pense que les managers aujourd’hui peuvent se heurter à une forme de liberté du système en matière de conciliation vie pro vie perso qui va se heurter avec l’organisation d’une activité qui, elle, est souvent assez normée. On est encore dans un système qui, dans les grandes entreprises, dans les grands services publics, est quand même assez normé, avec un fonctionnement parfois un peu bureaucratique, des normes qui sont définies et qui sont applicables de haut en bas. Et finalement, les salariés, dans leurs nouvelles attentes, dans ce qu’on appelle aujourd’hui les nouvelles attentes — alors, est-ce qu’elles sont post-crise? Est-ce qu’elles existaient avant? La question peut se poser, mais en tout cas, on voit bien que de manière de plus en plus forte (…) on a de plus en plus d’affirmation de ça. On a, on a quand même un rapport de force qui s’est un tout petit peu inversé ces derniers temps. Et donc on a des salariés qui ont besoin d’agir sur les transformations engagées, qui ont besoin d’exprimer un point de vue, qui ont besoin que leur ressenti soit pris en compte dans les décisions et dans le management du quotidien. C’est pour ça que nous, par exemple, on a mis en place un baromètre social digital qui nous permet d’effectuer ces mesures-là et d’offrir finalement aux managers des consoles de pilotage qui leur permet d’intégrer ces KPIs là dans la performance et finalement dans la définition de leurs orientations. On va continuer à les engager là-dessus, à les accompagner, que ce soit sur la gestion, finalement, d’un collectif qui est hybride, qui a des horaires différenciés, des lieux de travail différenciés et finalement un décalage qui se fait aujourd’hui de l’asynchrone qui se génère progressivement, qui est quand même une charge mentale peu évidente pour le manager. Et on va continuer à analyser aussi l’impact de tout ça, sur la charge mentale notamment. Je pense que la question de la santé mentale va être assez déterminante dans les prochaines années, particulièrement d’ailleurs pour les managers. Et on le voit bien, il y a beaucoup de questionnements qui se font aujourd’hui. Est-ce que le management est un métier d’avenir? Est-ce que les gens auront envie de continuer sur cette trajectoire-là? Et on a envie de maintenir ça. Moi, je ne crois pas beaucoup à l’entreprise libérée, mais beaucoup plus au manager responsabilisé. Mais pour ça, il faut qu’il ait envie de faire ce métier et…
Christophe : Et qu’il soit formé.
Jérôme : Et qu’il soit formé et bien formé. Et donc, dans notre accord QVCT, on va par exemple s’attacher à développer un dispositif de mesure de la charge de travail du manager, qui est rarement quantifiable et qu’on va essayer de toucher du doigt à travers du design de service. On a un designer de service RH qui nous aide un peu à essayer de projeter ça en termes de ressentis et de pouvoir mieux accompagner le manager dans son vécu du quotidien.
Christophe : Et quand on parle de mutation organisée et d’organisation du travail, de personnalisation, finalement quasiment des temps de vie, est-ce que tu mesures aussi la faisabilité de tout ça, c’est à dire l’entreprise doit continuer à tourner et ça, c’est l’enjeu prioritaire… C’est pour ça aujourd’hui qu’il y a beaucoup d’entreprises qui font retour en arrière parce qu’elles ont peut-être donné trop de liberté et puis elles se rendent compte que ça ne fonctionne pas, soit parce que perte de productivité, soit parce que les managers ne sont pas formés à tout simplement à manager en mode hybride ou à distance. Est-ce que ça, c’est des choses que vous mesurez et sur lesquelles vous êtes plus attentifs?
Jérôme : Comme je l’ai dit, nous on y va vraiment par étapes. On a commencé tôt mais on y va très progressivement, ce qui fait qu’à chaque fois, sur chaque étape, on évalue quand même ce qu’on met en place. Le télétravail, j’en suis au quatrième accord, donc on y va step by step. La semaine de quatre jours, on est sur une expérimentation à petite voilure. On a vraisemblablement l’intention ou l’envie de monter la voilure parce que pour le moment, on a un taux de recommandation de la semaine de quatre jours 9,34 sur dix de la part des expérimentateurs sur neuf métiers différents.
Christophe : C’est quoi les modalités de cette semaine de quatre jours, t’as compressé la semaine sur quatre jours ou c’est sur deux semaines glissantes comme certaines entreprises l’ont fait ? Comment c’est mis en place ?
Jérôme : Alors là encore dans un effort de personnalisation, c’est une semaine réalisée sur quatre jours avec deux formules différentes, une sur 35h et on joue sur les RTT, donc on supprime les RTT, soit sur 37h avec conservation de huit jours RTT. Donc ce qui permet au salarié de prendre la formule la plus soutenable pour lui dans l’organisation de sa vie et finalement dans le schéma qu’il souhaite conserver, la flexibilité qu’il souhaite conserver. Ce qui fait que ça crée de la personnalisation encore à l’intérieur de la semaine de quatre jours. On a une répartition assez homogène d’ailleurs sur les deux formules. Il est clair que quand ça peut se tendre un peu sur les problématiques personnelles, on va avoir tendance à se rapprocher des 35h. Mais clairement, ça fait pas un très gros impact. Puisque par rapport à la semaine de 39h sur cinq jours, il n’y a pas un impact considérable. Et surtout, les salariés nous disent que la journée off compense l’intensification des journées le reste du temps, ça, c’est vraiment grâce aux chercheurs en neurosciences qu’on a pu vraiment le déterminer.
Christophe : Et la journée off, elle est fixe ou différente en fonction des semaines ?
Jérôme : Elle est fixe et plutôt à la main du salarié, sur accord du manager au démarrage de l’expérimentation. Mais elle peut varier selon les contraintes de manière exceptionnelle, il peut y avoir changement de jours.
Christophe : Un autre axe hyper important dans les ambitions de la CNAV et tes ambitions, c’est l’inclusion et la diversité.
Jérôme : Alors oui, ça c’est, on va dire, la deuxième colonne vertébrale qu’on souhaite donner à notre accord QVCT, là encore on est sur une bonne maturité. On a fait notre premier accord sur le sujet en 2018, qui était déjà, qui était déjà, en 2015 même… On était déjà allés assez loin en matière de couverture de l’ensemble des champs qui composent la QVCT. La diversité, l’inclusion, c’est un peu notre chapeau et ça va être un peu notre notre fil rouge sur les prochaines années. Je suis convaincu qu’on part déjà avec un capital qui est intéressant à exploiter parce que ça fait des années qu’on est très engagés sur le champ du handicap. On a un taux national d’emploi qui est à 8,35 %, donc on fait partie des employeurs plutôt exemplaires. On est très engagés sur le champ de l’égalité femmes hommes, que ce soit au niveau de la composition du Comex, des différentes instances de direction ou plus globalement sur les différents axes de l’index. Et on a quand même des entités qui sont pour l’immense majorité à plus de 90 et l’Assurance retraite caisse nationale, donc la CNAV est plutôt à 96 sur 100. Donc on capitalise un peu sur sur quelques grands champs comme ça, mais on sent bien qu’on a besoin d’investir sur le reste en sachant qu’on a, comme je le disais tout à l’heure, une grande diversité de métiers, qu’on a besoin de s’adresser finalement à un public très large de candidats, compte tenu finalement qu’on a autant de métiers d’opérateurs, que ce soit sur une plateforme de services, que ce soit sur les futurs métiers de traitement, de dossier retraite, de réception de nos nos assurés à l’accueil ou que ce soit sur des emplois très spécialisés, que ce soit dans la data, que ce soit dans l’IT, dans le juridique, avec des personnes qui vont être en interface des pouvoirs publics pour, par exemple, une réforme des retraites, des choses comme ça.
Christophe : D’autant qu’avec le vieillissement de la population, on va avoir besoin de bras supplémentaires.
Jérôme : En tout cas, on a besoin d’être au rendez vous parce qu’on a un public qui s’intéresse de plus en plus à ces sujets. Et je crois que ça s’est vu au moment de la préparation de la réforme. Donc, on a besoin d’être, de, d’embrasser large, je dirais, dans les catégories de salariés auxquelles on s’adresse, au-delà de notre responsabilité sociétale, je pense, et d’exemplarité qu’on souhaite avoir sur ces champs de responsabilité sociale, d’employeur. Donc effectivement, la diversité et l’inclusion, on y est déjà parce qu’on l’évoquait juste à l’instant, on est sur un maximum de déploiement de dispositifs qui permettent justement de bien concilier vie professionnelle, vie familiale. Quelles que soient les étapes de vie, quel que soit l’âge, quelle que soit la situation familiale, quelle que soit la situation d’aidants par exemple, ou de parents d’enfants de moins de trois ans. Mais on a besoin aussi de mettre en lumière finalement la diversité de nos métiers et la diversité de nos publics, que ce soit en termes d’origine sociale, que ce soit en matière de communauté LGBT+, que ce soit en matière d’apparence physique, que sais-je? On a mené un diagnostic. C’était c’était un peu risqué. On a mené un diagnostic qu’on a rendu public dans ses résultats auprès des salariés qui nous disent, qui nous confirment qu’on a un certain nombre de points d’appui, mais qui confirment aussi qu’on a besoin d’aller plus loin et qu’ils ont envie que l’Assurance retraite Caisse nationale puisse investir ces sujets pour assurer leur sécurité psychologique dans leur singularité et peut-être aussi pour permettre de faire de ces singularités des forces avec des regards différents, une créativité potentielle du collectif à travers sa diversité pour créer le service public de demain (…)
Christophe : C’est courageux de consulter ses salariés sur ce type de sujet. Il y a assez peu d’entreprises qui le font.
Jérôme : Bah merci. C’est vrai que ça fait sauter aux yeux aussi des choses parfois un peu désagréables. On se rend compte qu’un pourcentage non négligeable de salariés, plus de 20 %, considèrent qu’ils ont déjà été victimes, par exemple, de propos inappropriés, quelle que soit finalement leur singularité. Et ça veut dire que ça, il faut qu’on s’y attaque. Il y a une réponse employeur à donner à ça. Il faut afficher une tolérance zéro. Et quand on l’affiche, il faut pas que ce soit un message de communication. Ça veut dire qu’il faut qu’on soit en prévention, qu’on crée une acculturation. On a des phénomènes aussi très générationnels dans l’approche par rapport au sujet de la diversité, de l’inclusion. Donc il faut accompagner l’ensemble de nos populations pour décrypter les comportements qu’on attend aujourd’hui d’un manager ou même d’un collègue au quotidien. Et derrière, pouvoir afficher aussi une tolérance zéro dans le traitement des des difficultés qui nous remonteraient, des signalements qui nous sont faits. Parce que là, pour le coup, si c’est pas traité, finalement toute la politique s’effondre. Ça veut dire que là, finalement, l’employeur n’est pas au rendez-vous des signaux qu’il envoie. Et pour moi, la diversité, l’inclusion, ce n’est pas signer deux label, faire trois événements et s’arrêter là.
Christophe : Alors quand tu dis tolérance zéro, c’est, tu vas favoriser quoi? Tu sors la matraque ou tu es dans l’éducation? Pour l’instant.
Jérôme : Je dirais les deux. Il faut faire les deux et les deux en simultané. Il faut bien évidemment qu’on acculture tout le monde et moi j’ai la tentation de… et on est service public, on est employeur socialement responsable, on est plutôt bienveillants, donc on a besoin d’accompagner nos managers, leurs collaborateurs aussi, dans un mouvement général d’acculturation, de compréhension aussi de ce qui se joue à travers les attentes d’une nouvelle génération de collaborateurs qui nous attendent finalement sur ces sujets-là.
Christophe : Justement, c’est une question un peu épineuse, mais cette nouvelle génération, elle a tous ces codes. Elle est beaucoup plus ouverte, beaucoup plus, entre guillemets, tolérante que les générations précédentes. Qu’est-ce que tu dis à ton manager de 55 ans, qui a dit « on n’est pas des pédés » par exemple, tu vas sortir la matraque pour cette personne qui a été éduquée… Il y a peut être des gens qui vont me dire : qu’est-ce qu’il dit? Mais cette personne, elle a été éduquée pendant toute sa vie où pour lui, c’est une blague? Et à 55 ans, en tant qu’employeur, tu ne vas pas lui dire ben écoute, tu es licencié parce que (…) Comment on gère ça? C’est compliqué quand même.
Jérôme : Je dirais qu’on passe nécessairement par l’étape de la de la sanction pédagogique, c’est-à-dire qu’on ne peut pas laisser passer, on ne peut pas banaliser aujourd’hui, on ne peut pas laisser passer. Moi, j’ai vécu finalement une situation où c’était quasiment ça. Pour le coup, avec : « Tiens t’a mis ton petit short de pédé aujourd’hui ». Ça, c’est une situation qui a pu exister. Elle peut pas être traitée par un simple mail ou un simple message d’accompagnement. Elle doit être traitée sur sous l’angle disciplinaire. Après, c’est pas sur une situation isolée qu’un salarié de 55 ans va se retrouver licencié. En revanche, s’il ne prend pas très au sérieux la situation à partir d’un message quand même très sérieux, le disciplinaire, c’est un courrier recommandé que tu reçois chez toi, une convocation, un entretien qui n’est pas évident, potentiellement un conseil de discipline en régional parce qu’on a une convention collective qui met en place un process… C’est quand même un moment qui marque. Si pour le coup il y a réitération derrière, là, pour le coup, c’est qu’effectivement malheureusement, la personne n’a pas réussi la pédagogie.
Christophe : Toute façon, on va pas se mentir, quand l’entreprise est dans cette démarche de tolérance zéro, c’est ces exemples qui feront bouger les lignes.
Jérôme : Oui, oui oui. C’est ces exemples-là qui feront bouger les lignes. La difficulté qu’on peut avoir aujourd’hui, c’est que, évidemment, on garde une discrétion très forte sur ces situations. Elles ne sont pas forcément connues de tous. On n’en fait pas une publicité. Ce qu’on va essayer de faire, c’est aussi peut-être faire un récapitulatif de ce qu’on a traité ces dernières années, y compris dans des sujets plus graves : harcèlement sexuel, harcèlement moral, avec parfois des connotations justement soit sexistes, soit harcèlement sexuel, soit des propos racistes, soit des choses d’une certaine gravité sur lesquelles on va pouvoir faire aussi un bilan transparent auprès des salariés en disant : voilà comment on traite ça dans notre écosystème.
Christophe : Tu as une cellule d’alerte, du coup ?
Jérôme : On a tout un dispositif d’alerte, oui, avec en plus une référente harcèlement côté DRH, une référente harcèlement du côté du CSE également. Une procédure sur laquelle on a beaucoup communiqué, qui est bien connue. Des élus au niveau représentants du personnel qui sont quand même bien informés. D’ailleurs, tous ces sujets-là passent par la négociation. On passe par le dialogue social. Je suis peut-être encore un DRH qui y croit. Je sais que pour en discuter avec certains, tout le monde n’y croit plus. Mais moi je crois beaucoup au corps intermédiaire, à ce rôle aussi que peuvent avoir les partenaires sociaux. En tout cas, dans un service public, ça marche bien. Et donc je pense qu’avoir des relais qui n’ont pas forcément le même rôle que moi, c’est extrêmement important.
Christophe : Mais comme tu le dis en fait, tout dépend si tu les considères comme des partenaires en tant que DRH ou comme des ennemis. C’est aussi simple que ça.
Jérôme : Oui, tout à fait. Si on est sur le strict champ des obligations légales et réglementaires dans le dialogue social, il se passe rien. Et en effet, il y a une opposition qui se crée assez naturellement où chacun va jouer ses arguments juridiques. Si effectivement on commence à mettre autour de la table les partenaires sociaux, y compris sur des sujets sur lesquels on n’est pas obligé de les positionner, typiquement semaine de quatre jours, télétravail où tout ça peut se faire en unilatéral employeur… Là, évidemment, il va se passer autre chose. Et moi je ne crois pas beaucoup à, même si pour le coup c’est peut être plus tentant dans une petite structure, le fameux gré à gré où en fonction de la confiance qu’on va avoir avec tel et tel collaborateur, on va leur accorder ceci, cela, mais avec toute la limite, à un moment donné, de la transparence et de la justice sociale. Je pense que l’avantage des accords d’entreprise, quand bien même parfois ils sont complexes à mettre en œuvre, et quand bien même parfois on y déroge nous mêmes, je pense que ça a le mérite d’être connu de tous et d’afficher de la transparence et de la justice sociale.
Christophe : L’autre sujet d’impact important pour les mois, les années à venir, pour l’ensemble de la fonction RH et toutes les entreprises, c’est l’impact des IA génératives.
Jérôme : Oui, alors on s’est attaqué au plus tôt à ce sujet-là qui a évidemment un très fort impact. Alors, la transformation digitale, on était déjà bien dedans au niveau du service public, bien dedans, au niveau de la fonction RH également. Maintenant, on voit bien que là, on a franchi une étape très significative avec une vraie déflagration, avec l’arrivée de ChatGPT et finalement de ses cousins, des IA génératives. Moi, je vois deux volets. Il y a évidemment l’analyse de l’impact de ChatGPT sur nos métiers. Je pense notamment à, par exemple à nos métiers de la relation client et de la relation écrite en particulier. On voit bien qu’on a besoin de faire des cas d’usage, de monter des cas d’usages très spécifiques pour accompagner finalement nos professionnels à pouvoir saisir ChatGPT et les IA génératives comme des opportunités. On peut le voir aussi dans les métiers de la communication. On peut le voir dans les métiers de l’IT et notamment du développement, notamment pour documenter le code par exemple. Donc il y a toute une série finalement d’impacts métier dans une démarche qu’on a déjà engagée, de gestion des emplois et des parcours professionnels qu’on va devoir essayer d’adapter. Et le deuxième, c’est sur la fonction RH à proprement parler. Là aussi, on a pu engager des cas d’usage sur le champ de l’administratif. Dans le cadre de nos interactions avec les salariés, on voit bien qu’on a une IA générative qui peut être très facilitante dans la pédagogie, dans la qualité rédactionnelle et dans la bienveillance qu’on peut avoir par rapport peut-être à des écrits qui peuvent être considérés parfois comme un peu administratifs, un peu raides. Et puis, deuxième cas d’usage très intéressant qu’on a déjà identifié, c’est sur le learning, à la fois sur l’élaboration d’un cahier des charges formation, à la fois sur la conception même d’ingénierie pédagogique ou même allant jusqu’à la convocation, l’invitation du salarié à un programme de formation. On voit bien que ça peut être un immense gain de temps, mais je suis à peu près convaincu qu’on en est qu’aux prémices. C’est à peu près comme si on était finalement dans les années 70 à la découverte de l’ordinateur avec la carte à trous. Je pense que dans six mois, un an, on aura franchi encore des étapes (…)
Christophe : Oui, la différence, c’est la rapidité d’évolution.
Jérôme : Exactement. Là, il va falloir aller très vite, donc se tenir informé, être en capacité de se saisir de ces outils-là, de savoir être très vite expert au prompt engineering, savoir réfléchir avec l’assistance d’une IA qu’on doit voir un peu comme comme un assistant, mais un assistant qui est capable de répondre à beaucoup de sujets. Donc clairement, on doit être nous à la fois sur ces terrains d’opportunités, mais aussi sur les limites pour nous de l’IA générative en matière de sécurisation de nos données, on ne doit pas faire partir nos datas à l’extérieur sans savoir ce qu’elles deviennent. Mais aussi la question de la confidentialité des données individuelles, du respect du RGPD, toutes ces questions-là qui sont, pour nous, service public, extrêmement déterminantes.
Christophe : Merci Jérôme.
Jérôme : Merci Christophe.