Dans un contexte de mutations multiples, la fonction RH se retrouve au cœur d’un jeu d’équilibre complexe. Entre la nécessité de stabiliser les repères collaborateurs et l’impératif d’agilité organisationnelle, entre les transformations technologiques portées par l’IA et l’urgence de la prise en main par les collaborateurs, les défis s’accumulent.
Qui plus est, face à l’instabilité économique, sociale et politique actuelle, les entreprises doivent donc repenser leurs modèles, mais aussi réinventer leur proposition de valeur. Alors, comment conjuguer sécurité et transformations ? Comment personnaliser l’expérience salarié sans perdre la dynamique collective ?
Décryptage de trois enseignements issus du dernier rapport Global Human Capital Trends avec Fanny Bachelet, associée Deloitte lead Capital Humain.
Stagilité : un nécessaire équilibre entre stabilité individuelle et agilité organisationnelle
Le rapport révèle notamment que le concept de stagilité s’impose désormais comme une priorité pour les organisations. Ce dernier exprimant la nécessité de concilier la stabilité recherchée par les collaborateurs et l’adaptabilité stratégique maintenant inhérente aux entreprises.
Ce que nous observons, c’est un besoin croissant des collaborateurs d’être rassurés sur leur avenir. Les entreprises font face à une pression des marchés de plus en plus forte, cette dernière impliquant une capacité d’adaptation et de résilience qui devient la norme. La « stagilité » est le concept qui porte cette ambivalence du nouveau monde professionnel, puisqu’elle implique de faire de plus en plus de choix stratégiques rapides tout en donnant un cadre clair aux personnes et une lecture précise des conséquences des impacts individuels et collectifs de ces décisions.
Après une période marquée par un retour aux fondamentaux — réorganisation du travail, négociations salariales dans un contexte inflationniste, recentrage managérial — les entreprises doivent maintenant prendre les décisions structurelles qu’elles ont retardées pour répondre aux transformations technologiques, sociétales et une instabilité économique et politique durable avec, au cœur de ces choix, le capital humain : santé au travail, arrivée de l’intelligence artificielle, évolution des métiers… Les entreprises doivent anticiper, accompagner l’évolution des compétences ou encore intégrer les innovations dans une dynamique sécurisante.
Ainsi, la stagilité ne repose pas sur un compromis, mais sur un pilotage conscient de ces tensions, au service d’une résilience durable.
IA au travail : la reconfiguration des compétences, sans déshumanisation des métiers
Omniprésente dans les discussions RH depuis deux ans, l’intelligence artificielle cristallise autant d’espoirs que de craintes. En effet, à mesure que les promesses d’automatisation se précisent, l’inquiétude sur l’avenir du travail ne cesse de croître. Or, loin d’annoncer la disparition de l’expertise humaine, l’IA recompose en réalité les contours des missions et impose de repenser la nature même des métiers.
Nous le savons, l’IA sert en particulier à automatiser une partie des tâches les plus répétitives, améliorer la productivité mais aussi à venir soutenir nos décisions. Contrairement aux précédentes avancées industrielles ou technologiques, elle impacte en premier lieu les emplois qualifiés et particulièrement les cadres : fonctions support, professions analytiques, marketing etc. — Ce glissement impose alors aux organisations une responsabilité forte : celle de préparer les collaborateurs à ces transformations.
En d’autres termes, il s’agit de transformer la menace perçue en opportunité. Développer des compétences nouvelles, notamment en matière d’acculturation à l’IA générative, d’analyse comportementale ou encore de capacité décisionnelle augmentée, qui devient essentiel pour maintenir l’engagement et la performance.
Bien intégrée, l’IA permettra ainsi de libérer du temps pour des missions à haute valeur stratégique : analyse fine, conseil, relation humaine. Mais cette promesse ne se réalisera que si les entreprises investissent dès aujourd’hui dans l’évolution des compétences et revalorisent le rôle de l’humain dans la chaîne de valeur.
Dès lors, l’investissement dans le capital humain devient une condition essentielle pour que cette transition soit créatrice d’opportunités.
EVP agile, gestion individualisée : comment redéfinir l’expérience collaborateur ?
Si la personnalisation de l’expérience collaborateur est reconnue comme un enjeu stratégique par 70 % des entreprises françaises, peu d’entre elles ont encore franchi le pas de sa mise en œuvre. Ce décalage persistant s’explique autant par la complexité de l’exercice que par l’instabilité croissante que nous connaissons.
Repenser l’expérience employé implique de retravailler en profondeur la proposition de valeur, dans un monde devenu structurellement imprévisible. Cependant, cette refonte ne peut plus reposer sur des modèles figés. Elle oblige à construire une approche beaucoup plus agile, capable d’intégrer l’incertitude comme une variable de fond.
En pratique, cela signifie que l’EVP (Employee Value Proposition) doit savoir évoluer en même temps que les fluctuations positives ou négatives sur le marché du travail, les attentes intergénérationnelles ou les ruptures technologiques. Plus flexible, plus individualisée, mais aussi avec plus de valeurs du collectif, cette nouvelle expérience salarié ne peut être une simple addition d’avantages : elle doit refléter la « stagilité ».
L’un des leviers de cette personnalisation passe par exemple par la transformation de la gestion de la performance. Il faut rompre avec les standards homogènes et les évaluations linéaires, car il n’est désormais plus possible d’évaluer deux collaborateurs sur un même poste de la même manière. Et pour cause : les attentes, les rythmes et les contributions individuelles doivent être considérés à l’aune de leurs attentes et de leur motivation qui vont être différentes.
Dans ce mouvement, la fonction RH doit accepter de sortir du cadre normatif pour piloter des trajectoires singulières. Car seule cette personnalisation assumée permettra aux organisations de fidéliser durablement leurs talents et de renforcer leur capacité d’innovation.
Source(s) documentaire(s) :
- Global Human Capital Trends 2025, Deloitte