GESTION DES TEMPS DE TRAVAIL : UN GOÛT IMMODÉRÉ POUR LA COMPLEXITÉ ? En matière de gestion administrative RH, la France bat des records de complexité en Europe. Un Code du travail de 3500 pages, 650 conventions collectives, 20 000 accords d’entreprises… Auxquels s’ajoutent chaque année des jurisprudences incessantes de la Cour de cassation sociale et des règles européennes. Et ce, rien que sur les temps de travail ! En bref, toutes les conditions sont réunies pour produire une machine infernale.
Mais s’y ajoute aussi un profond tropisme culturel français : un goût immodéré pour la complexité, les cas particuliers et les exceptions.
Faire compliqué : une constante en matière de gestion RH ?
Faire compliqué en matière de temps de travail semble être une constante. Les dispositifs se sont empilés les uns après les autres, avec pas moins de 10 lois depuis les années 1990, sans compter les ordonnances Macron. Chacune amenant toujours plus de lourdeur administrative. Celle ayant le plus d’impact est, sans aucun doute, la loi sur les 35 h aussi dite loi Aubry II avec sa gestion administrative sans équivalent en Europe. D’ailleurs, il suffit d’essayer d’expliquer les concepts et la mécanique de sujets comme le TTE (temps de travail effectif), les 1607 heures annuelles ou la RTT à un DRH étranger pour le voir ouvrir des yeux incrédules.
Mais en France, cette complexité n’étonne plus. On pourrait même dire qu’elle ne conduit pas à devenir plus raisonnable (et réaliste).
Complexité RH : voyage en absurdie
Souvenez-vous, c’était en 2014 : la présentation du compte pénibilité. Un vrai sujet de gestion des temps, car il imposait de mesurer précisément la durée passée et l’intensité d’exposition sur les activités dites pénibles. Les modalités de mise en œuvre proposées dans le projet étaient absolument kafkaïennes, avec des mesures et des seuils variant suivant les activités. Elles imposaient des modifications lourdes des logiciels de gestion des temps et des activités.
Ce dispositif, qualifié d’usine à gaz par les organisations patronales, avait provoqué une levée de boucliers de la CGPME et du Medef, entre autres. Il avait été ensuite remis en cause et réduit à sa plus simple expression. Il est d’ailleurs piquant de constater que c’est un ancien DRH qui avait été chargé de la conception et de la négociation de ce dispositif.
Mais la vraie question est de comprendre comment cela a pu se produire.
Comment expliquer que la commission qui travaillait sur ce projet ait pu imaginer une telle usine à gaz. Et ce, sans se rendre compte qu’elle était inapplicable. Est-elle partie du principe que l’intendance suivrait ? S’est-elle même à un seul moment posé la question des difficultés pratiques et des coûts de gestion RH que cela allait entraîner pour les entreprises ?
Quand les partenaires sociaux renoncent à faire simple
Cette complexité administrative est cumulative. Une fois en place, elle est très difficile à remettre en cause. Il est facile d’incriminer (à raison) les politiques et le législateur, mais les partenaires sociaux font-ils vraiment mieux ?
Par exemple, l’article L3141-10 du Code du travail prévoit qu’une convention collective peut accorder des droits à congé supplémentaire, en particulier pour des conditions d’ancienneté ou d’âge. Ainsi, la nouvelle convention collective de la métallurgie applicable depuis janvier 2024 (art 89.1, 89.2, 89.3) prévoit 3 valeurs de congés supplémentaires (1,2,3 jours) avec des conditions d’âge, d’ancienneté, de proportionnalité (aux CP légaux). De même, un jour supplémentaire peut être accordé sous condition de statut (cadres dirigeants ou forfait jour).
Sans remettre en cause l’approche, et en particulier la normalisation entre cadres et non-cadres, la renégociation de cette convention n’aurait-elle pas été une occasion à saisir pour simplifier le système ?
Car, en dehors de cet exemple, est-ce que les négociateurs patronaux et syndicaux réalisent vraiment la complexité pour les services paie du calcul et de la gestion des congés de tous types en France : congés légaux, ancienneté, fractionnement, de RTT, événements familiaux encore plus avec des périodes de référence différentes ? Parmi les partenaires sociaux, quelqu’un se préoccupe-t-il réellement de mesurer l’impact et le coût des négociations en matière de gestion RH, en particulier dans les logiciels de GTA ?
Les RH n’en peuvent plus de la complexité administrative
Une étude Tissot et Payfit de 2021 révélait que 69 % des RH passaient plus de la moitié de leur temps en gestion administrative. 7 sur 10 indiquaient qu’ils en concevaient une frustration, car leur choix de ce métier était plus motivé par les aspects humains et sociaux. 36 % faisaient part de leur difficulté à suivre les évolutions réglementaires. 47 % formaient le vœu d’une simplification administrative.
Dans une autre étude réalisée par SD Work en 2023, on constate que la France occupe la dernière place du classement européen en matière de fluidité des processus de paie. En cause ? La complexité réglementaire, bien sûr.
Mais les DRH apportent aussi leur pierre à la complexité
C’est donc une effarante complexité législative, conventionnelle et jurisprudentielle qui affecte la gestion des temps de travail et des absences en France. Mais les Directions RH sont parfois elles-mêmes à l’origine de bien des complications de gestion.
Absence de volonté de simplifier avec les partenaires sociaux. Perpétuation de règles désuètes. Multiplication des cas particuliers. Non prise en compte de la complexité de gestion… Autant d’éléments qui sont souvent la source de bien des difficultés sur les projets de GTA.
En réalité, cette complexité est entrée dans les mœurs et l’on ne s’en rend plus vraiment compte. Il y a une large part culturelle dans cette capacité à créer de la complexité, car on la retrouve partout. Les conséquences sont connues : pertes de productivité économique, inefficacité et découragement. Or, la fonction RH est aujourd’hui au cœur d’enjeux qui seront difficiles à atteindre si on la condamne à consacrer autant d’énergie à cette complexité d’un autre temps.
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