Le pouvoir des mots

L’intelligence artificielle vient bousculer notre façon de travailler et même notre façon de parler.

Vous avez un email à envoyer ? Un discours à faire ? Un contenu à créer ? Un argumentaire à présenter ? Aujourd’hui, ChatGPT peut vous y aider. Mais qu’en est-il de nos interactions quotidiennes, nos échanges spontanés, nos réunions de travail ? Impossible de demander à l’IA de nous conseiller en temps réel.

Notre naturel revient au galop, notre style s’exprime, notre champ sémantique se manifeste sans toujours savoir l’effet qu’il aura sur autrui.

Prêtez-vous de l’attention aux mots que vous utilisez avec vos collègues, votre manager, vos enfants, votre conjoint(e) ?

Le choix des mots est-il important ?

Un des quatre accords toltèques, tiré du livre éponyme, invite à soigner nos mots « Que ta parole soit impeccable ». Don Miguel Ruiz, l’auteur, nous dit que : « Quelle que soit votre façon de parler, notre intention se manifeste par la parole. »

Avez-vous en tête une phrase du passé dont vous vous souvenez parfaitement ?

Avez-vous déjà eu l’impression d’échanger avec une personne et de la connaître depuis toujours ?

Avez-vous dans votre entourage quelqu’un qui a la fâcheuse tendance à vous plomber le moral ?

Avez-vous déjà eu des déclics suite à une discussion partagée ou un discours entendu ?

Dans tous les cas, c’est bien que les mots ont eu une importance pour vous. Nous sous-estimons la puissance de la parole. Les mots peuvent séduire, guérir, faire rire, mais aussi blesser, décourager ou accabler.

À l’heure où ChatGPT pourrait devenir un puissant outil de travail, que diriez-vous de plonger dans le pouvoir des mots ?

 

Les mots ont une émotion

Émotion du latin e-movere signifie e : extérieur et movere : mouvement. Comprenons par là que les émotions nous mettent en mouvement.

Quand je ressens de la peur, ça me paralyse, ou au contraire ça me donne envie de me dépasser.

Qu’est-ce qui fait passer d’un état de paralysie, à un état de défi ? Les mots.

Les mots envers les autres ou envers nous-mêmes ont plus de pouvoir qu’on ne le pense. L’émotion, quelle qu’elle soit, naît des mots. Oui, les mots ont une énergie.

Il y a des mots qui désolent et des mots qui consolent.

Il y a des mots qui découragent et des mots qui encouragent.

Il y a des mots qui énergisent et des mots qui démobilisent.

À mon sens, les mots peuvent autant booster que paralyser l’action.

Saviez-vous que la définition même d’un déclic venait du fait de vivre une émotion ?

Par exemple, vous pouvez très bien comprendre intellectuellement qu’une situation vous pèse jusqu’au jour où un mot, une parole vous le fasse comprendre émotionnellement.

• Conseil : Quand on utilise la phrase « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », demandez-vous plutôt si ce n’est pas LA goutte d’eau qu’il vous fallait pour passer à l’action ou à un autre niveau de conscience d’une situation.

 

Les mots disent qui je suis

Imaginez-vous lors d’un entretien d’embauche, d’un pitch au sein d’un réseau professionnel, ou même lors d’un rendez-vous amoureux. Quels mots allez-vous utiliser pour parler de vous, de votre métier, d’une expérience passée ? Chacun communique avec les mots qui sont les siens, je dirais même avec les mots qui lui ressemblent.

• Quels sont les mots qui vous représentent le mieux ?
• Quelle graine voulez-vous semer chez la personne en face de vous ?
• De quoi voulez-vous qu’elle se souvienne à votre sujet ?
• Si en vous quittant, elle devait écrire 3 mots à votre propos, quels mots aimeriez-vous que ce soit ?

Il existe une communication magnétique entre les gens. Regardez lorsqu’on assiste à une conférence en disant à la sortie « J’ai adoré ce qu’il/elle a dit ». Cela fonctionne aussi quand on rencontre quelqu’un pour la première fois et qu’on a l’impression de se connaître depuis toujours. Nous ne ressentons pas cela parce que l’autre est charismatique. Mais parce que ses mots sont en résonance avec nous.

À l’inverse, parfois, nous utilisons des mots de manière légère et anodine, prétextant rire ou affirmant « C’est du second degré ».  Mais ce qui est anodin pour nous peut être blessant pour l’autre. Une seule solution s’impose alors : s’excuser.

• Conseil : Ne supposez jamais que les excuses, les remerciements ou les encouragements sont évidents ou sous-entendus. Dites-les sincèrement.

 

Le pouvoir des mots en entreprise

Le choix des mots c’est la base d’une communication positive. Il y a des mots qui grincent. Les managers, dirigeants, RH n’ont pas toujours conscience que leurs mots façonnent l’ADN social de l’entreprise. Par leurs mots, ils donnent une vision, une direction. Une énergie qui va irriguer l’ensemble de l’organisation et embarquer les Hommes. Ou au contraire, les démotiver.

À quoi servent les dépenses marketing si l’on n’est pas convaincu qu’on part de l’humain pour faire du business ? Sans salariés, les entreprises ne pourraient pas fonctionner et générer du profit. Si aucun candidat n’acceptait de mettre sa tête et ses mains à leur service, elles seraient vouées à l’échec. Tout le monde scande qu’il faut mettre « l’humain au cœur de l’entreprise ». Oui et cela commence par les mots.

 

La qualité de vie au travail, seulement une histoire de budget ?

On pense à tort que la qualité de vie au travail représente un investissement, qu’il faut y consacrer du budget. Mais je crois que la qualité de vie au travail commence par la manière dont on se parle. La formation à la pratique du feed-back, à l’assertivité, à la communication non violente ou, tout simplement, la verbalisation de la reconnaissance suffisent à maximiser nos relations aux autres.

Ne sommes-nous pas plus efficaces lorsque nous sommes encouragés, valorisés, estimés dans notre travail ? En réunion ou en formation management, on se demande comment donner aux collaborateurs l’envie de s’engager, l’énergie pour réinventer leurs pratiques. Le choix des mots. L’autre jour, j’entendais dans le métro deux personnes qui disaient  : « Tu as entendu ce qu’il a dit ? On devrait l’enregistrer quand il nous parle. »

Depuis le COVID, on parle beaucoup plus facilement des MAUX ressentis en entreprise, qu’ils soient physiques, psychologiques ou émotionnels. Mais je crois que souvent ce sont les MOTS qui causent des MAUX :

• Pression, urgence, délais toujours plus courts
• Absence de reconnaissance
• Perte de sens, sentiment d’inutilité
• Communication fragile, dialogue impossible ou inexistant

En entreprise, on préfère ambitionner le bien-être. On préfère le mot bien-être au travail que le mot bonheur au travail. Mais le bien-être c’est l’absence de douleur, donc le fait de ne pas avoir mal. Il ne s’agit donc pas d’une ambition.

Une vie personnelle ou professionnelle épanouissante, ce n’est pas d’avoir mal nulle part, mais d’être heu-reux ! On aspire tous au bonheur, et pas seulement le week-end !

Je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que les mots peuvent être aussi encourageants que démotivants. C’est bien souvent les mots qui causent des maux.

 

Le ratio de Losada

Connaissez-vous les travaux de Marcial Francisco Losada ? Ce psychologue chilien a étudié durant quelques années le rapport entre les mots positifs ou négatifs utilisés entre les personnes et la qualité de leur relation.

Au départ, les études ont été menées dans le cadre professionnel auprès d’une cinquantaine d’entreprises. Des chercheurs consultants ont écouté les propos tenus lors de réunions, d’interactions dans les couloirs, de commentaires quotidiens entre collaborateurs, managers et dirigeants. Ces interactions ont été codées en 2 catégories, en fonction des éléments de langage dits « positifs » et des éléments de langage dits « négatifs ».

Ensuite, les chercheurs ont analysé les résultats et calculé le rapport entre les propos positifs/négatifs en les reliant à la performance de l’entreprise, à sa rentabilité, au niveau de satisfaction client. Voici les résultats qu’ils ont constatés :

 

Interaction positive/interaction négative en milieu professionnel

 

 

Les équipes les plus performantes sont celles qui ont majoritairement des interactions positives. Comprenez par là que la majorité de leurs échanges sont orientés : solution, opportunité, idée, feedback, réussite, remerciement, encouragement, reconnaissance existentielle, reconnaissance des résultats, des efforts.

À l’inverse, les équipes sous-performantes ont des échanges tournant autour du champ lexical des problèmes, des difficultés, des objections, des réclamations, des reproches, des critiques, du manque de confiance ou d’autonomie.

Il ne s’agit pas de dire uniquement des douceurs et d’être positif en permanence, mais de choisir les bons mots pour dire les choses.

Et vous, prêtez-vous de l’attention aux mots que vous utilisez au quotidien ?

En effet, ces études ont été étendues au cadre personnel où l’on a mesuré les paroles positives et négatives échangées entre conjoints.

Nous découvrons sans surprise que les couples ayant majoritairement des interactions négatives, de 5 contre 1, basés sur les reproches, les critiques, les manquements, se dirigent droit vers la case divorce. À l’inverse, les couples les plus harmonieux et solides ont un ratio de 5 interactions constructives pour 1 négative.

Il en va de même avec les enfants : fais ci, fais ça, n’oublie pas tes clés, range ta chambre, dépêche-toi, tu ne fais jamais ci, je t’ai répété X fois cela, tu vas casser ci, tu ne travailles pas assez ….. Toutes ces interactions amènent volontiers un adolescent à dire : « À chaque fois que tu me dis quelque chose, c’est pour me faire un reproche ! »

 

Plus d’échanges positifs dans les mots du travail

Est-ce que cela vous rappelle quelque chose avec votre environnement professionnel ? Consultez-vous votre manager chaque fois qu’il « y a un problème » ? Allez-vous au bureau de la RH uniquement quand vous avez un problème à lui partager ? Ou pensez-vous à alléger la charge émotionnelle et mentale d’autrui en n’étant pas dans le reproche, mais en sachant également lui dire ce qui va bien, la bonne nouvelle du jour, la satisfaction que vous avez, le plaisir de travailler avec lui/elle ?

Même si l’on peut contester l’aspect mathématique du ratio de Losada, car il est difficile de réduire les relations humaines à des chiffres. Il semble évident qu’une attitude et des mots positifs engendrent de meilleure coopération.

Pour conclure, chacun de nous aspire à entretenir des relations harmonieuses avec ses collègues, son manager, ses collaborateurs, ses enfants/conjoints. Pourtant parfois nos mots disent le contraire. Aussi lorsque nous utilisons des mots que nous n’aimerions pas entendre vis-à-vis de nous-mêmes dans les mêmes circonstances, reconsidérons le choix de nos paroles.

Enfin, puisque les études d’Albert Merahbian, sur la communication orale, démontrent que nous retenons seulement 7 % des mots, il faut donc en conclure qu’il est d’autant plus important de bien les choisir 😊