Premier procès d’une possible longue liste, la condamnation pour fraude au CPF d’un organisme de formation vient d’être prononcée par le tribunal correctionnel de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Dans le même temps, une proposition de loi visant à lutter contre les abus et les fraudes au compte personnel de formation est en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Tour d’horizon.
Rappel : le compte personnel de formation, c’est quoi ?
Tout au long de sa vie, un salarié cumule des droits à la formation. Comptabilisés en euros, ces droits lui permettent de financer les formations qualifiantes ou certifiantes de son choix parmi un panel d’organismes référencés. Le compte personnel de formation est utilisable tout au long de sa carrière ainsi qu’en période de chômage. Il est donc essentiel d’expliquer le CPF à ses salariés.
Le CPF remplace le droit individuel à la formation (Dif) depuis le 1er janvier 2015 et est aujourd’hui la cible de fraude.
Une fraude au CPF via des sessions « fantômes »
Créée en 2019, la société Happy Form proposait des formations en informatique et bureautique. Si ce n’est l’envoi aux candidats d’une clé USB contenant des cours et quelques exercices en version PDF, aucune formation n’a jamais été dispensée. Une fraude au CPF qui se traduisait donc par des sessions qualifiées de « fantômes ». Organisées entre 2020 et 2021, elles étaient facturées à la Caisse des dépôts et consignations chargée de gérer le financement du compte personnel de formation.
La société offrait par ailleurs aux candidats des cartes cadeaux, téléphones et autre tablettes ou ordinateurs « en contrepartie d’émarger une simple feuille de présence », expliquait Mehdi Benbouzid, procureur de la République de Saint-Omer.
Fraude CPF : une première condamnation prononcée
Tracfin, le service de renseignement français chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale et sociale avait dénoncé cette escroquerie au CPF en 2021. Une enquête préliminaire avait alors été ouverte.
Après une première audience le 21 juin 2022, le tribunal a rendu son verdict et condamné la société, le 20 septembre dernier pour sa fraude au CPF : elle devra verser plus de 3 millions d’euros à la Caisse des dépôts et consignations, dont 330 000 solidairement avec la dirigeante.
Sur le plan pénal, cette dirigeante écope de trois ans d’emprisonnement avec sursis. À cela s’ajoute l’impossibilité d’exercer une activité de formation pendant cinq ans et de gérer une entreprise pendant dix ans.
Le CPF, « victime » de son succès ?
Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, faisant passer les droits acquis sur son CPF d’une unité d’heure à une unité en euros, ce sont plus de 2 millions de Français qui se sont inscrits à une formation.
Mais cette récente monétisation a aussi attisé l’appétit des escrocs et les fraudes au CPF n’en finissent plus de se développer : des pratiques commerciales abusives, telles que le démarchage, qui visent « à pousser les individus à acheter des formations contre leur gré », peut-on lire dans la nouvelle proposition de loi déposée par les groupes Démocrate, Renaissance et Horizons.
Une nouvelle proposition de loi qui sonne la fin des fraudes au CPF ?
Dans le cadre du CPF, seuls les organismes agréés pouvaient être référencés jusqu’ici. Ces précautions n’ont pourtant pas empêché le développement d’organismes frauduleux ni les abus et escroqueries via notamment le démarchage. La proposition de loi qui a été examinée en commission le 28 septembre puis en séance le 6 octobre 2022 par l’Assemblée nationale vise donc à durcir la mesure de lutte contre la fraude au CPF.
Le texte propose ainsi d’interdire le démarchage (téléphonique, par SMS ou par courriel) des organismes d’apprentissage « dès lors que ce démarchage n’a pas lieu dans le cadre d’une prestation en cours ». À l’heure actuelle, celui-ci étant autorisé, la fraude doit avoir abouti pour être punie. S’il est adopté, le texte permettra aux autorités compétentes d’intervenir dès l’envoi du message frauduleux. C’est la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) qui sera chargée de veiller au respect de cette nouvelle interdiction.
La proposition de loi renforce également l’échange d’informations entre les services compétents, comme la Caisse des dépôts ou encore la répression des fraudes. Ces acteurs pourront « échanger, spontanément ou sur demande » tous les documents utiles, recueillis dans le cadre de leurs missions. Un volet identique est prévu au bénéfice de Tracfin afin de sécuriser juridiquement ces mises en partage.
La fin du démarchage sonnera-t-elle la fin de la fraude au CPF ?
Gaëlle Péronnet