Le télétravail apparait comme la meilleure solution afin de lutter contre la propagation de la pandémie de coronavirus tout en essayant de maintenir l’activité économique des entreprises. De toute évidence, la crise que nous vivons va transformer notre rapport au travail et à l’entreprise… pour le meilleur comme pour le pire. S’il est impossible de prédire quelles transformations seront pérennes sur le long terme, deux scénario peuvent être imaginés :
Télétravail et coronavirus : scénario 1
Alors que le télétravail a longtemps stagné (surtout en France), cette crise sans précédent pourrait l’amener à s’étendre notamment dans des entreprises qui n’y étaient pas forcément ouvertes (des PME par exemple), pour des métiers qui n’y étaient pas initialement destinés. Les progrès technologiques, couplés à l’évolution des mentalités, et à l’expérimentation de la confiance à grande échelle, vont permettre au télétravail de se développer, notamment en cas de grèves, d’épidémies, des cas de force majeure ou des situations personnelles exceptionnelles…Par la force des choses, cette crise va montrer aux organisations de nouvelles façons de faire, de travailler, de s’organiser, conduisant à une meilleure acceptation du télétravail et des modes de management associés, reposant sur de nouvelles modalités d’évaluation fondées sur l’atteinte d’objectifs pré-établis, la confiance et l’autonomie des collaborateurs. Certains observateurs annoncent même que le télétravail pourrait se généraliser, se développer de façon beaucoup plus régulière, non pas comme un mode particulier et différent d’organisation du travail (comme une exception à la règle), mais comme une façon « normale », naturelle, de fonctionner dans l’entreprise. Cette évolution aurait un impact indéniable sur notre rapport au numérique, au travail (à travers une relocalisation de ce dernier), à la ville (à travers un désengorgement des grands centres urbains), aux déplacements (à travers une réduction de la nécessité de voyager) et à l’autre… à travers une possible « virtualisation » d’une partie croissante de nos comportements sociaux.
Télétravail et coronavirus : scénario 2
Mais, paradoxalement, il se pourrait également que la majeure partie de l’opinion retienne essentiellement les aspects négatifs de cette expérience subie, de cette cohabitation forcée, de sorte que la lassitude, la perte de lien social, l’isolement, la démotivation, et des questionnements sur le sens réel du travail, pourraient apparaitre comme les points saillants associés au télétravail…et à cette crise sans précédent, comme un mauvais souvenir dont on ne voudrait jamais qu’il recommence. On peut se rappeler que lors des grèves de décembre, les témoignages qui remontaient parlaient de baisse d’énergie, de perte d’engagement, de manque de contacts humains, de remises en question, et de regrets de la vie de l’entreprise. La distantiation sociale qui nous est demandée aujourd’hui va de pair avec ce que les chercheurs en théorie des organisations appellent « déspatialisation », c’est-à-dire une distance non seulement physique, mais aussi et surtout psychosociologique due à l’éloignement du télétravailleur avec son espace de travail, ses collègues, l’autre en général. L’épreuve de confinement que nous vivons nous rappelle avec force que le travail est certes un labeur, une contrainte, une forme d’assujettissement (comme en témoigne l’étymologie du terme) mais aussi, et surtout, un élément constitutif du lien social, qui doit être porteur de sens, pour des êtres éminemment sociaux qui ont, plus que jamais, besoin de retrouver l’émotion du « vivre ensemble », du « construire ensemble », autour d’une cause commune qui doive normalement faire écho à leurs convictions.
Les jours à venir, et la façon dont le télétravail sera mené, vécu et ressenti par l’ensemble des travailleurs, semblent donc plus que jamais cruciaux pour la pérennisation (ou non) de ce mode d’organisation et l’avenir de notre rapport à au travail…Si un avenir en 100% télétravail ne semble ni imaginable, ni même souhaitable, cette crise nous montre plus que jamais à quel point il convient de replacer l’humain, le lien social et la quête de sens au cœur des préoccupations de l’entreprise.
Dr. Aurélie Leclercq-Vandelannoitte
Aurélie Leclercq-Vandelannoitte est chercheuse au CNRS, professeure à l’IESEG School of Management, spécialiste des évolutions du travail et du management au sein du LEM (Lille Economie Management, UMR CNRS 9221).