Depuis son apparition remarquée dans le monde du recrutement, le mot « prédictif » ne laisse personne indifférent. Si le concept enthousiasme, non sans susciter certaines craintes chez les acteurs traditionnels du marché, le terme peut agacer et desservir la réalité qu’il recouvre. Pourquoi ? C’est un pléonasme, une tautologie ; en clair, le terme « prédictif », censé spécifié un type nouveau de recrutement, ne fait qu’expliciter ce qu’est le recrutement. Car recruter, c’est prévoir. Alors, pourquoi un tel choix ? Et surtout, sachant que le langage engage, quelles sont les promesses qui l’accompagnent ?
En vérité, nul n’est dupe de l’approche marketing, de l’accroche ; le choix de « prédictif » répond d’abord à une volonté de séduire. « Recrutement algorithmique » ? Trop long. « Recrutement intelligent » ? Ambigu et potentiellement vexatoire ; « digital » ? Manque d’impact, trop flou. « Prédictif », en revanche, ça marche ! On le retient. Mieux, à l’entendre, on pense par association à Minority Report et aux visions de ses « précognitifs », soit le fantasme absolu d’une société de l’anticipation (prédire l’avenir pour le modifier à sa guise). Et voilà le terme élu paré d’une alléchante promesse : une méthode informatique extralucide, plus performante que les hommes pour recruter les candidats les plus performants.
Le fait est que cela fonctionne. Des études ont montré qu’une simple équation peut faire mieux que l’instinct du recruteur qui demeure, pour le meilleur et pour le pire, soumis à des biais, contrairement à l’analyse prédictive qui ne retient que des données objectives. Le risque du clonage n’est certes pas exclu, mais il est corrigé par la conscience qu’on en a, d’où l’importance de l’intervention humaine en aval.
Le prédictif, quèsaco ? Mode d’emploi d’un mode de recrutement
De fait, le terme « prédictif » est l’arbre qui cache la forêt du Big Data. En effet, ce type de recrutement repose sur la collecte et le traitement des données des (meilleurs) collaborateurs en poste ; il s’agit de trouver des corrélations entre la performance et d’autres variables afin de définir un modèle qui permette d’établir un seuil de compatibilité. Une fois le modèle arrêté, les candidats passent le test ; sous le seuil prescrit (par exemple, 70% de correspondance avec le modèle), les candidats ne seront pas reçus. Ce qui permet aux recruteurs de redistribuer le temps gagné à la short list des talents restants. Le recrutement prédictif s’apparente ainsi à un super casting de présélection qui ne laisse passer que les candidats les plus adéquats pour un poste donné. C’est un tamis ou, pour mieux dire, un focus, un podium. L’intuition du recruteur reprend ensuite ses droits, qu’on voudrait croire intangibles.
On pourrait penser qu’une telle méthode exclue d’emblée la « singularité », c’est-à-dire le candidat moins bon sur le papier (sur l’écran, plutôt) et qui, contre toute attente, tout pronostic, va se révéler en poste plus brillant que les autres parce que galvanisé par un univers de travail, une équipe ou un manager stimulant, ou encore par des facteurs extérieurs à sa vie professionnelle. Mais penser qu’un tel merle blanc aurait franchi avec brio les étapes d’un recrutement traditionnel se révèle assez illusoire – et ce, bien qu’il faille reconnaître à l’instinct du recruteur la capacité de déceler des talents cachés.
Cinquante nuances de prédictivité
Seulement, le recrutement prédictif a tendance à tirer à lui la couverture et à désigner, de façon abusive, toute forme de recrutement digital, toute émanation de l’automatisation. La présélection vidéo, par exemple, ne devrait pas, en l’état, être assimilée à du prédictif : le procédé, certes innovant, n’en est pas encore à utiliser un modèle établi sur la base de variables corrélées à la performance des collaborateurs en poste. L’entretien vidéo n’est cependant pas dépourvu de toute « validité prédictive » ; bien au contraire, sa prédictivité – c’est-à-dire ici sa capacité à qualifier les talents les plus performants a priori – est même bien supérieure à celle d’autres types de recrutement. Mais ce n’est pas du recrutement prédictif au sens strict, ou plutôt au sens qu’on a donné à ce concept.
À la fois prospectif et prescriptif, le recrutement prédictif recommande des candidats en fonction de leur adéquation au futur poste. C’est un pourvoyeur de talents qui représente un gain de temps et d’énergie certain. Sa capacité à anticiper avec justesse, pour un nombre donné de talents, lesquels seront un véritable atout pour l’entreprise explique le succès du procédé. Cela explique aussi, par ricochet, qu’on aime ou se complaise à qualifier de « prédictif » son propre modèle de recrutement, quand bien même il ne le serait pas vraiment… Quoiqu’il en soit, le ton est donné ; l’époque est aux algorithmes et au Big Data. Pour le bien des organisations et des professionnels du recrutement, puisque c’est à la fois le temps de cerveau et de service disponible qui s’en trouve accru. En fin de compte, le recrutement prédictif semble d’abord prédire son propre avenir. Radieux, assurément.
Mickaël Cabrol, CEO & Fondateur, EASYRECRUE