C’est dans un contexte de profondes mutations que le Groupe Matelsom, leader de l équipement de la maison sur Internet, s’est lancé dans une expérience managériale des plus innovantes : accueillir une artiste en résidence dans les locaux de l’entreprise. Objectif : recréer du lien entre les collaborateurs. Une expérience parfois difficile, mais fructueuse.
Un investissement financier et émotionnel
« Pour se lancer dans une telle initiative, il faut avoir du courage et aimer prendre des risques », lance Emery Jacquillat, le Président de Matelsom. Pour faire entrer Anne-Laure Maison en résidence dans leurs locaux, le Groupe a investi un budget de 20 000€ et pas mal de sang froid. Matelsom traversait alors déjà trois épreuves éprouvantes : le plan de relance de la CAMIF, le déménagement de son siège social et le changement de tous ses systèmes informatiques. « On cherchait un moyen de créer du lien car notre équipe était issue de cultures très différentes : les anciens salariés de l’ex-Camif, les collaborateurs de Matelsom, avec un esprit plutôt start-up et les nouvelles recrues. C’était une période difficile. Il fallait retrouver du plaisir à travailler ».
C’est dans cette situation, et pour l’améliorer, qu’est arrivée l’artiste. Installée dans un bureau personnel, elle s’est intégrée et investie dans l’entreprise pendant 3 mois. « J’y étais pendant que tous travaillaient. Ils traversaient un moment difficile, confirme Anne-Laure Maison. Ils avaient du travail par-dessus la tête. » Le challenge était complexe : les collaborateurs allaient-ils être sensibles à cette démarche, et en avoir le temps ? « Au départ, ils m’ont pris pour un fou, répond Emery Jacquillat. Certains n’en avaient pas grand-chose à faire ; d’autres s’inquiétaient d’avoir une artiste dans les pattes ».
Après avoir été à leur rencontre le premier jour, les invitant à venir échanger avec elle, son bureau est resté bien vide. « Personne ne prenait le temps de venir me voir. Alors, dès qu’ils prenaient une pause, je leur emboitais le pas », commente l’artiste. Parfois ses créations in-situ passaient complètement inaperçues, comme ce jour où elle avait effacé plusieurs lettres de l’enseigne Service Après-vente pour n’en laisser que 4 : R.E.V.E. « Personne ne s’était aperçu qu’il venait de franchir… la porte d’un rêve », se souvient le Président du Groupe. « Ça a été difficile, émotionnellement, pour elle. On n’arrivait pas à voir l’aboutissement. Et on est passé plusieurs fois au bord de l’explosion », poursuit-il.
Un clash positif
Cela a pris du temps, mais « la mayonnaise a pris », sourit Emery Jacquillat, « dans les dernières semaines ». C’est pourquoi il conseille à celui qui tenterai l’expérience, de le faire sur du long terme. « Peu à peu, les gens sont venus vers moi. Une réelle curiosité est née », corrobore Anne-Laure Maison. Elle a fini par transformer l’entreprise, par changer le regard que chacun posait sur son lieu de travail et sur ses collègues. « Elle a été une bouffée d’oxygène », résume le Président.
Il recommande de ne pas se lancer dans une telle aventure sans un intermédiaire. « On n’aurait pas pu le faire sans l’intervention d’une société extérieure, qui connaît le milieu artistique. On a pu lui exprimer nos doutes et la société a su nous recadrer ou recadrer l’artiste ».
Si les premiers bénéfices ont mis du temps à se montrer, le premier choc d’Anne-Laure Maison a été immédiat : le manque de communication. « Il n’y avait pas de mur puisqu’ils travaillaient en open space, mais la communication ne passait pas. Il y avait beaucoup de non-dits », s’indigne-t-elle encore aujourd’hui. Un choc pour l’artiste, mais le début d’une prise de conscience pour les salariés.
Une expérience qui laisse des marques
L’entreprise avait fixé deux orientations – créer du lieu et retrouver du plaisir au travail. Ensuite, l’artiste avait carte-blanche. Les bureaux et l’entrepôt sont devenus à la fois atelier et salle d’exposition. Une fois imprégnée, elle s’est engagée dans le processus de création. Anne-Laure Maison a commencé par des montages photos – « j’y ai réuni les deux équipes » – puis des « portraits intimes » des salariés chez eux, devant ou à l’intérieur de leur maison. « J’ai d’abord exposé un portrait de moi, pour me présenter et les inviter à faire de même. C’était l’occasion de se rencontrer, de se connaître, pendant le trajet, puis chez eux », raconte l’artiste. Un tiers environ des salariés a joué le jeu. « Ca a été l’élément déclencheur », poursuit-elle.
S’en sont suivies des performances plus imposantes, comme cette « carte réseau » fictive, réalisée au sol avec des bandes adhésives roses, circulant d’un bureau à l’autre. « Le jour où elle a commencé à coller le scotch, les chefs de produit étaient en réunion. Ils n’avaient aucune bande qui partaient de leurs bureaux », raconte Emery Jacquillat. Ils ont alors réalisé que pour faire partie de ce « réseau », ils devaient communiquer, se déplacer d’un poste à un autre. Aujourd’hui, plusieurs mois après le départ d’Anne-Laure Maison, les bandes sont toujours là. Et la prise de conscience qu’il faut communiquer davantage aussi.
Par d’autres stratagèmes d’artiste, elle est parvenue à toucher les moins sensibles, ceux qui ne s’étaient pas encore laisser approcher. Un jour, des noms de grands artistes, d’autres moins connus, et d’architectes sont apparus sur les places de parking de la société. Certains ont eu la curiosité d’aller voir qui ils étaient et ce qu’ils réalisaient, pour venir ensuite en parler avec leur artiste en résidence. Délébiles, ces inscriptions ont disparu. En revanche, le « Photo-Maison » est resté. « C’est un photomaton en forme de maison », explique le Président, et nous nous le sommes approprié dans notre culture d’entreprise ». Désormais, chaque nouvel arrivant s’y fait prendre en photo et est affiché sur le mur électronique de l’entreprise.
Typhanie Bouju