Incompréhension, attentes divergentes, visions du travail opposées… Depuis quelques années, les discours sur une supposée « fracture » entre générations se multiplient. Génération Z contre baby-boomers, jeunes instables contre seniors dépassés. Autant de clichés qui, à force d’être répétés, ont fini par façonner les perceptions dans l’entreprise.
Mais si le vrai problème, c’était justement cette grille de lecture générationnelle ? C’est la vision défendue par Frédérique Jeske dans son livre Le choc des générations n’existe pas. Invitée de Bibliothèque RH, elle est revenue sur ces représentations stéréotypées qui nourrissent l’âgisme et empêchent de voir l’essentiel.
Pourquoi l’approche générationnelle est-elle aussi tenace ? Quelles conséquences cette pensée en silos a-t-elle pour les entreprises et leurs équipes ? Et comment enclencher une coopération intergénérationnelle réelle et durable ? Des questions fondamentales… auxquelles Frédérique Jeske a répondu sans détour.
Des cases générationnelles inventées par le marketing
Le point de départ est simple, mais souvent oublié : les générations ne sont pas des catégories scientifiques. Elles sont des constructions sociales, largement popularisées par le marketing. Comme le rappelle Frédérique Jeske :
Ce concept a été créé de toutes pièces par des marketeurs, puis repris par les médias. Il n’a jamais été validé scientifiquement.
Le problème ? Ces cases simplifient à l’extrême la complexité humaine. Elles renforcent nos biais cognitifs, en enfermant les collaborateurs dans des stéréotypes. Résultat : la créativité est attribuée aux jeunes, le sérieux aux seniors… et la réalité du terrain est oubliée.
Une vision étriquée qui freine l’action RH
Cette façon de penser par « catégories » a un coût pour les organisations. Car en RH, les stéréotypes ont des conséquences très concrètes. Recrutement, management, gestion des talents : toutes les dimensions sont touchées. Frédérique Jeske souligne d’ailleurs :
L’âgisme est la dernière discrimination tolérée et assumée dans les entreprises.
Elle rappelle que certains employeurs n’hésitent pas à déclarer qu’ils ne veulent pas de profils « trop vieux ». D’autres se méfient des plus jeunes, jugés « ingérables ». Mais ce double rejet est une erreur stratégique. En agissant ainsi, les entreprises se privent de ressources essentielles… et fragilisent leur performance à moyen terme.
Les salariés veulent de la coopération, pas des cases
C’est le paradoxe que révèle l’enquête Uskoa & myRHline sur la vision des salariés vs dirigeants sur le défi intergénérationnel :
- 86 % des salariés estiment que les différences d’âge enrichissent la collaboration ;
- 91 % veulent des actions concrètes : mentorat, ateliers, formations sur les stéréotypes.
Mais du côté des entreprises, l’écart est frappant : moins d’un quart ont engagé une démarche, la moitié ne fait rien. Pourquoi un tel décalage ? Selon Frédérique, beaucoup de RH admettent que c’est un sujet… mais pas chez eux.
Il y a donc un véritable problème culturel. En particulier vis-à-vis de la transition démographique qui reste peu visible dans les priorités stratégiques. Et ce, alors qu’elle est déjà là. Et qu’elle va s’intensifier.
L’entreprise intergénérationnelle de 2030
À quoi pourrait ressembler une organisation pleinement intergénérationnelle d’ici cinq ans ? Frédérique Jeske imagine une entreprise où chacun a sa place, quel que soit son âge. Où la singularité de chacun est reconnue et valorisée. En somme, une entreprise qui sait manager l’individualité, et animer un collectif intergénérationnel.
Elle alerte aussi sur l’enjeu démographique : en 2030, les plus de 45 ans seront majoritaires. Il ne s’agit plus seulement de « faire une place » aux seniors. Il faut anticiper une transformation structurelle de la pyramide des âges.
Avec son livre Le choc des générations n’existe pas publié aux Éditions Eyrolles Frédérique Jeske invite à dépasser les clichés. Elle propose un cadre de pensée nouveau, plus juste, plus lucide, plus inclusif. Loin des caricatures, son propos redonne de la complexité à une question trop souvent simplifiée. Une chose est sûre : pour recruter, manager et fidéliser demain, il faudra apprendre à travailler avec toutes les générations, ensemble. Et cela commence dès aujourd’hui.